Observatoire des médias sociaux en relations publiques

Publications

Les animateurs de communauté et les professionnels en relations publiques : enjeux sur la e-réputation des organisations

Francine Charest

Professeure agrégée, Université Laval, Québec, Canada francine.charest@com.ulaval.ca

Anthony Doucet

Étudiant en communication Université Laval, Québec, Canada anthony.doucet.1@gmail.com

Résumé


La « e-réputation » émerge de l’effervescence collective des outils de partage sur les diverses plateformes Web 2.0. Compte tenu de l’importance de ce phénomène dans les médias sociaux, il nous intéresse de l’observer et d’en analyser les enjeux dans le domaine des relations publiques. C’est à travers une démarche qualitative descriptive de l’appropriation des médias sociaux par un échantillonnage d’organisations nord-américaines actives sur les médias sociaux que nous procéderons à cette étude exploratoire. Outre une revue de littérature,  sont  présentés  des  entretiens  semi-dirigés  menés  auprès  de  professionnels en relations publiques. Cette étude a permis d’observer les diverses façons dont ces professionnels mènent leurs activités notamment en situation de crise, et d’analyser leur incidence possible sur la e-réputation des organisations, à partir du point de vue des animateurs de communauté.

Mots-clés


communication et gestion des relations publiques ; appropriation des médias sociaux ; entretiens semi-dirigés ; animateurs de communauté ; enjeux sur la e-réputation.

Abstract


A new concept, the “e-Reputation”, has recently emerged following the enormous growth of Web 2.0 sharing tools. Given the importance of this phenomenon within social media, we will observe and analyze the issues therein with respect to public relations. We draw a qualitative narrative of the e-Reputation from a sample of North American organizations presently active in social media. In addition to a review of relevant literature, we also conduct semi-structured interviews with public relations professionals notably in crisis communication. This allows us to observe the many ways in which community managers influence the e-reputation of their organization and analyze the impact these activities have.

Keywords


appropriation of social media; communication ; public relations management; semi-structured interviews; community leaders; issues on e-Reputation.

Introduction


Heiderich  (2009,  en  ligne)  désigne  la  e-réputation  comme  étant  «  l’acte  d’agir  sur la perception […] et de la légitimer auprès d’un large public, ceci par la maîtrise des comportements individuels et collectifs des internautes dans la société de l’urgence à l’heure des réseaux sociaux ». Compte tenu de l’importance de ce phénomène social relativement nouveau résultant notamment des « conversations » dans les médias sociaux (Charest, Gauthier, 2012 ; Charest, 2012), il nous intéresse de l’observer et d’en analyser les enjeux professionnels et organisationnels dans le domaine des relations publiques.

Il nous apparaît pertinent également d’étudier l’apport d’un nouvel écosystème engendré par les médiaux sociaux, ses particularités et la culture de transparence, d’interaction et de collaboration qu’elle sous-tend au sein de la profession. Ces nouvelles façons de communiquer changent la pratique des relations publiques répondant à un réel besoin de sensibilisation et de formation pour les étudiants et les professionnels de la communication, besoin exprimé à travers différentes activités de recherche menées entre autres dans le cadre de l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (OMSRP).

C’est à travers une démarche qualitative descriptive de l’appropriation des médias sociaux par un échantillonnage d’organisations nord-américaines actives sur les médias sociaux que nous procéderons à cette étude exploratoire. Pour ce faire, nous aurons recours à des techniques d’entretiens semi-dirigés avec les professionnels en relations publiques, en l’occurrence des animateurs de communauté ou community managers, au cours desquels seront validées certaines valeurs inhérentes aux médias sociaux, recommandées entre autres dans les codes d’éthiques en relations publiques (Maisonneuve, 2010). Outre les analyses de contenu de ces entretiens, nous analyserons également des documents constitutifs tels que des politiques d’utilisation des médias sociaux (Dubois, Pelletier, Poirier, 2011), des plans de gestion de crise (Bloch, 2012) et des processus de gestion des commentaires (Charest, Gauthier, Grenon, 2011, 2013). Cette étude permettra d’observer les diverses façons dont ces activités sont menées par les professionnels de la communication sur Facebook et Twitter notamment en situation de crise, et d’analyser leur incidence possible sur la e-réputation des organisations, à partir du point de vue des animateurs de communauté.

Mise en contexte et définition de concepts


 

Le mot réputation vient du latin « reputatio » qui signifie « évaluation ». Il désigne une évaluation sociale et subjective qui dépend non seulement de « l’identité » d’une personne ou d’une organisation, mais surtout de ce que les autres en disent. Transposée dans les médias sociaux, la e-réputation est ainsi un prolongement de l’identité numérique « forgée au gré des commentaires et avis publiés sur Internet et en particulier sur les réseaux sociaux » (Balagué, Fayon, 2011, p. 75).

La réputation en général se construit ainsi à partir d’interactions ou de « conversations » auxquelles les individus ont été invités, ou pas, à participer (Bonneau, 2011) et qui portent un regard sur une dimension particulière de l’organisation, de son image ou de ses actions. Autrement dit, la réputation se construit, d’une part, à partir de l’« agir communicationnel » (Habermas, 1987) de l’organisation puisque c’est cette dernière qui donne le ton, et d’autre part, à partir des interactions et des conversations qu’elle a suscitées entre les individus.

Or, c’est à travers une gestion fine de ces relations communicationnelles sur les médias sociaux que se construit le capital de sympathie envers les organisations (Maisonneuve, 2010) ou « d’antipathie dont le montant s’accroît ou diminue en fonction de son comportement passé » (Bloch, 2012, p. 133). La gestion de cette communication sensible, voire de crise si elle dégénère, suppose alors que les professionnels de la communication, en l’occurrence les animateurs de communauté ou community managers (Stenger et Coutant, 2011), doivent développer des compétences qui sauront influencer de façon favorable ces interactions en ligne afin de minimiser les risques potentiels de crise (Heiderich, 2011). Pour Roux-Dufort (2003), les crises ne sont pas des événements, mais des processus qui se développent dans le temps et l’espace faisant ressortir de multiples dysfonctionnements dont on a ignoré les signes avant-coureurs. Dans cette même lancée, Libaert (2010, p. 9) définit la crise comme « la phase ultime de dysfonctionnements mettant en péril la réputation et la stabilité d’une entreprise ».

Balagué  et  Fayon  (2011)  soulignent  que  c’est  souvent  l’apparition  d’une  crise  qui permet une prise de conscience de l’entreprise et qui l’amène à développer une politique de « e-réputation ». Détecter les signes avant-coureurs de ces situations dysfonctionnelles, anticiper et prévenir les risques d’opinion afin de protéger sa e-réputation (Bloch, 2012) s’avère une nécessité absolue.

« Tout organisme,  qu’il soit privé ou public, quels que soient sa taille ou son domaine d’activité, est potentiellement sujet d’une crise majeure pouvant miner sa réputation voire, et les deux sont souvent liés, le faire disparaître », selon Libaert (dans Heiderich 2010, p.v).

Dans un contexte de communication sensible ou de crise, la gestion de la e-réputation représente donc un enjeu majeur pour les organisations. Les animateurs de communauté ont un rôle crucial à jouer : assumer au mieux la lourde responsabilité de gérer ces situations délicates (Bloch, 2012). Outre cette responsabilité, les professionnels doivent conjuguer avec une dimension redoutable : le temps qui leur fait cruellement défaut. Le temps de réaction est parfois si court, qu’il est pratiquement impossible pour les gestionnaires d’agir sur les conversations (Motulsky, Breduillieard, Cordelier, 2011).

En raison de l’importance du rôle des professionnels en relations publiques en situation de communication sensible dans les médias sociaux, quels sont les modèles de communication sur lesquels repose leur démarche pour gérer la notion délicate de la e-réputation? À quelle logique impérative doivent se soumettre les professionnels de la communication ? Et enfin, quelles sont les valeurs inhérentes aux médias sociaux et aux codes d’éthique de la pratique des relations publiques auxquelles les animateurs de communauté doivent adhérer s’ils veulent être en mesure de gérer adéquatement les interrelations avec les divers publics de l’organisation notamment dans des situations de communication sensible ?

Fondements théoriques de la e-réputation et des communications sensibles


Dès 1984, les chercheurs américains Grunig et Hunt établissent les fondements théoriques d’une des plus importantes contributions dans le domaine des relations publiques, selon la communauté des chercheurs. Il s’agit d’un modèle de communication décliné en quatre types de pratiques des relations publiques : la promotion, l’information au public, la communication bidirectionnelle asymétrique et enfin, la communication bidirectionnelle symétrique. Depuis la parution de l’ouvrage de Grunig, Grunig et Dozier en 2002, ce dernier type de pratique est communément appelé la Théorie de l’excellence en relations publiques résultant du projet sur l’excellence de la Fondation pour la recherche de l’IABC (International Association of Business Communicators). « Ce modèle précurseur aborde deux dimensions incontournables de la profession, soit les «communications » et les « relations » jetant ainsi les bases de ce que vont devenir les pratiques Web 2.0 vingt ans plus tard » (Charest et Bédard, 2013, p. 37).

À noter, le type particulier de la communication bidirectionnelle asymétrique dans le modèle initial de Grunig. Ce dernier se caractérise par une communication axée sur la persuasion plutôt que sur le consensus, c’est-à-dire que l’échange n’est pas équilibré entre les deux parties communicantes, contrairement au type de communication symétrique, devenu symbole d’excellence. À l’origine, l’application de ce dernier type de pratique a soulevé beaucoup de réticences sur le plan communicationnel parce qu’il impliquait une écoute des besoins et des intérêts des publics par les organisations, dans un échange équitable pour les deux parties [remplaçant] ainsi la persuasion par la compréhension » explique Bérubé (2012, p. 32). « La démonstration des avantages de ce modèle de pratique lui a valu d’être aujourd’hui reconnu internationalement, comme en fait foi la norme ISO 31 0001 (Bérubé, 2012, p. 35).

Cette posture dialogique confère ainsi au relationniste un rôle de  « facilitateur » dans le processus communicationnel basé sur un échange réciproque dans lequel s’établissent des « relations » de confiance, deuxième dimension importante du modèle de Grunig. Selon l’auteur, ce serait l’application du modèle type de la communication bidirectionnelle symétrique qui serait à l’origine de l’établissement de ces relations. Selon une perspective idéaliste, ce serait ce type de communication qui serait pratiqué par les relationnistes ou animateurs de communauté à travers la « conversation » dans les médias sociaux.

La gestion des relations


Cette notion centrale de la « relation » a fait l’objet d’un concept inhérent aux relations publiques, soit la théorie de la gestion des relations. Développée par Ledingham et Bruning en 1998, elle repose sur cinq indicateurs : la fiabilité (level of trust), la transparence (openness),  l’implication (involvment), l’investissement (investment) et l’engagement à long terme (commitment). Kugler (2010, p. 18) précise les caractéristiques de ces indicateurs comme suit :

  • la fiabilité signifie que l’organisation fait ce qu’elle a dit qu’elle ferait ;
  • la transparence, qu’elle partage avec les publics ses projets d’avenir ;
  • l’implication, qu’elle participe au bien-être de sa communauté ;
  • l’investissement, qu’elle y participe financièrement ;
  • l’engagement, que l’organisation participe activement à l’amélioration du bien-être de sa communauté dans une perspective de long terme.

Pour Boussicaud et Dupin (2012), l’indicateur « engagement » à long terme doit être considéré comme un objectif par les organisations, élaboré à partir du modèle SMART ; c’est-à-dire que l’objectif doit être spécifique, mesurable, ambitieux, réaliste et temporel. La dimension temporelle de l’engagement à long terme signifie pour l’organisation d’éviter de faire des promesses qu’elle ne pourrait tenir lorsqu’elles avaient été faites, par exemple, dans le seul but de calmer les foules lors d’une situation de communication sensible urgente à régler. « Le calme ainsi obtenu ne serait que de courte durée et n’aurait pour effet que de dissimuler une crise à venir », selon les auteurs (2012, p. 56).

Les dimensions « communication » et « relation » en situation de crise


C’est précisément ces deux dimensions importantes du modèle de Grunig qui sont renversées dans une dynamique de communication de crise sur les médias sociaux. Selon Bloch (2012, p. 27) ce serait plutôt le modèle de « communication asymétrique ou crise 2.0 [qui permettrait] ainsi à des organisations ou à des groupes d’internautes disposant de moyens au départ faibles de menacer durablement l’image ou la réputation d’une entreprise ». L’auteur soutient qu’il existe trois grandes catégories d’environnements dans lesquels les entreprises communiquent : symétriques, dissymétriques, asymétriques.

  • La notion de « communication symétrique » se réfère à l’opposition entre deux parties. Que le meilleur gagne.
  • La situation de dissymétrie c’est lorsque l’un des acteurs dispose d’un avantage significatif surl’autre en termes de ressources ou de moyens. La loi du plus fort.
  • Les situations asymétriques sont celles où l’un des protagonistes cherche à compenser son infériorité de moyens et de ressources en agissant par surprise en utilisant toutes les possibilités à sa disposition. La fin justifie les moyens (Bloch, 2012, p.28, 29).

Ainsi, les stratégies de communication asymétrique ont pour principal objectif de stigmatiser le comportement d’une organisation, voire de la rendre dysfonctionnelle ; la cible de l’action étant sans équivoque l’opinion publique. Ce type de stratégie, bien qu’elle existe depuis fort longtemps, prend une tout autre dimension depuis l’avènement du Web

2.0. Traditionnellement, la mobilisation de l’opinion publique était canalisée par l’entremise des médias et relayée par les leaders d’opinion exigeant ainsi des moyens, des ressources importantes et un savoir-faire professionnel. Or, les médias sociaux ont complètement changé la donne : les nouvelles plateformes permettent d’atteindre cette opinion avec très peu de moyens ou de compétences communicationnelles.

Stratégies de communication sensible pour construire sa e-réputation : le darwinisme digital


Dans le cycle de vie des crises, à chaque phase du processus doit correspondre une stratégie de communication. Roux-Dufort (2003) identifie les quatre phases d’une crise comme suit : les signes avant-coureurs, l’élément déclencheur, la phase aigüe et enfin, le redressement ou la capitalisation de la crise. L’auteur insiste sur le fait que c’est « l’accumulation de fragilités, plus l’ignorance », rappelle Heiderich (2010, p. 9), qui alimentent le terreau fertile d’une crise potentielle. Nul doute qu’avec l’émergence des médias sociaux et la rapidité virale avec laquelle des réputations se défont, la démonstration d’anticiper les crises en identifiant les risques potentiels le plus tôt possible dans le processus et de développer des stratégies communicationnelles en amont afin d’en minimiser les dégâts n’est plus à faire. Pour ce faire, repenser d’abord les structures internes dans le but de mieux gérer sa communication externe représente un bon point d’ancrage.

À cet effet, une étude menée par le groupe Altimeter en 2001 montre que 76% des crises observées auraient pu être évitées ou minimisées si les sociétés avaient investi à l’interne (http://bit.ly/Qqojkv). « Penser les médias sociaux comme de nouvelles logiques de communication n’a de sens s’il est impossible de mettre en application des actions ». Ainsi, l’organisation n’a d’autres alternatives que « d’adapter sa structure interne afin de faciliter les processus de communication» (Boussicaud, Dupin, 2012, p. 61). « Adapt or die » écrivait Brian Solis dans son livre intitulé The end of business as usual (2011) dont est issue la théorie du darwinisme digital (http://bit.ly/ynXw3a). Et c’est bien là que réside toute la difficulté.

Identifier les personnes-ressources faisant autorité et susceptibles d’apporter une réponse cohérente, veiller à ce qu’aucun élément interne ne vienne parasiter les efforts qui seront mis en place ou s’assurer que les animateurs de communauté en charge puissent s’exprimer rapidement sans barrières hiérarchiques sont autant d’enjeux qu’il faudra avoir pensé et appliqué en amont. Et face à ce chantier, « le commencement est beaucoup plus que la moitié de l’objectif », comme l’affirmait Aristote » (Boussicaud, Dupin 2012, p. 62).

Outre le fait de s’adapter à une nouvelle logique de communication inhérente à ce nouvel écosystème engendré par les médias sociaux et des particularités de culture de partage, de transparence et d’ouverture qu’il sous-tend, toujours faut-il que cette même volonté soit inculquée au sein même de la culture organisationnelle de l’entreprise. Pour ce faire, développer des chartes d’utilisation des médias sociaux qui serviront de guide aux animateurs de communauté, afin de réagir notamment aux propos malveillants de certains publics sur les plateformes, s’avère une stratégie implicite dans le processus. À titre d’exemple, Boussicaud et Dupin (2012) présentent la charte des médias sociaux d’Intel fondée sur les trois principes suivants : une présence en ligne intègre, transparente et honnête ; la protection des données confidentielles ; et enfin, la loi du gros bon sens afin d’éviter que les conversations ne dérapent entre l’organisation et les publics (2012, p. 65-66).

À cet effet, Charest et al. (2013, 2011) de l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (l’OMSRP) (http://bit.ly/XLnt6d) de l’Université Laval, ont développé un processus de stratégie de réponses ou de gestion des commentaires qui prend en compte ces dimensions. Une politique éditoriale claire doit être établie au préalable, suivie d’un processus d’utilisation des médias sociaux. Une fois ces outils de gestion adoptés, la responsabilité doit être confiée à l’équipe de professionnels en communication relevant de la haute direction des relations publiques, assurant notamment le service à la clientèle et les autres outils de présence sur les médias sociaux. Le processus prend d’abord en compte les directives portant sur les contenus pouvant être diffusés ou exclus (par exemple supprimer des propos injurieux) sur les plateformes, une méthode de tri des commentaires (positif, neutre ou négatif) et l’évaluation de l’action à prendre pour chacun (répondre ou pas) ainsi qu’une indication sur le délai de réponse. Dans l’éventualité d’un sujet sensible ou d’un propos soulevé par un internaute mécontent, l’OMSRP recommande de répondre instantanément ou dans l’heure en tentant de rediriger la personne vers d’autres plateformes que les médias sociaux de l’organisation. Attention cependant au risque que l’animateur de communauté ne soit déconnecté du service client, recommande Bloch (2012).

Il est nécessaire que les deux travaillent dans un temps équivalent. Si le community manager s’adresse à un client mécontent pour lui proposer de contacter le service client qui sera à même de gérer son problème, il ne faut pas alors que ce dernier soit injoignable ou mette trois semaines pour apporter une réponse par courrier. Lorsque la crise provient d’internautes «structurés » […] il ne s’agit plus d’un épiphénomène, mais d’une attaque de l’entreprise (2012, p. 176)

Il s’agit alors d’une situation plus délicate pour laquelle l’organisation doit être prête à faire face à toute éventualité afin de bien gérer la situation et rappelons-le, l’enjeu majeur, sa e-réputation.

Gestion de crise dans les médias sociaux


Outre les processus ou outils de gestion plus ou moins sophistiqués dont disposent les organisations, il s’avère incontournable d’identifier en amont des personnes-ressources dans le but de former une cellule de crise qui sera activée dès qu’un événement est susceptible de dégénérer. À l’image d’un conseil d’administration, font partie de la cellule de crise des experts du problème rencontré ayant l’autorité, les compétences et les réponses, un responsable des communications et bien sûr, les plus hautes instances de l’organisation, mais pas nécessairement le président « afin de lui permettre le recul stratégique suffisant. Il sera en permanence informé, validera les décisions majeures, mais sans intégration à la cellule », souligne Libaert (2010, p. 38).

Afin de gérer la crise sur Internet de façon efficace, il faut aussi éviter que le sujet sensible ne soit repris dans les médias traditionnels, précise Bloch (2012, p. 175). Le Festival d’été de Québec l’a appris à ses dépens en février 2013, lors de la pré-vente de billets en ligne pour la saison prochaine. Une mauvaise planification de la forte demande des internautes (70 000 en quelques heures) à vouloir se prévaloir de la pré-vente semble à l’origine du problème. Les organisateurs avaient omis de « réserver » une capacité d’achalandage plus grande sur leur site Web qui aurait entraîné des coûts importants. Ayant « ignoré » ou pris le risque de ne pas avoir augmenté l’espace nécessaire pour ce pic important, le site congestionné a été bloqué pendant plusieurs heures. Ce qui a eu pour conséquence d’enflammer les propos d’internautes furieux qui se sont retournés sur Facebook et Twitter. Les médias traditionnels se sont emparés de ces propos et en ont fait les manchettes durant quelques jours. Ce qui a jeté un discrédit sur la réputation de l’organisation.

Il est donc recommandé d’identifier très tôt dans le processus le déclencheur de la crise sur Internet. Le fait de savoir qui il est et de connaître ses contacts et son histoire permettra de repérer les amplificateurs « naturels » de la crise et éventuellement s’adresser à eux en amont (Bloch, 2012, p.178). Ce qui évitera ainsi d’avoir à gérer des risques inutiles provoqués parfois par un effet de groupe ou de décisions collectives basées sur une évaluation subjective, voire erronée de la situation, à laquelle risquent de s’associer des individus voulant se rallier à tort à une décision susceptible de faire l’unanimité (Boussicaud, Dupin, 2012, p. 71).

Enfin, le fait de savoir où, quand et comment prendre la parole, va profondément avoir un impact sur la suite des événements. Twitter représente l’outil idéal pour gérer l’information urgente, de façon concise et efficace et rejoindre ainsi des leaders d’opinion et un grand nombre de journalistes très présents sur cette plateforme. En revanche, tout faux pas de l’animateur de communauté se transforme instantanément en des « memes »2.

En somme, les animateurs de communauté dans ce nouvel écosystème engendré par les médias sociaux doivent être à l’écoute de chaque avis de façon transparente, respectueuse et collaborative en s’inscrivant dans une démarche de communication bidirectionnelle symétrique afin d’éviter toute crise, voire de protéger des réputations.  Or, est-ce que ce modèle d’excellence en communication et les valeurs inhérentes aux médias sociaux recensées dans la revue de littérature et les codes d’éthique en relations publiques correspondent aux pratiques vécues sur le terrain ? Autrement dit, est-ce que les animateurs de communauté appliquent ce type de pratique symétrique, équitable et transparent dans leurs gestions des relations avec leurs divers publics dans les médias sociaux ? Sur quelle logique communicationnelle reposent leurs interrelations et conversations et quels en sont les enjeux sur la e-réputation des organisations ? C’est ce que nous tenterons de valider dans cette étude exploratoire, à partir du point de vue des animateurs de communauté.

Méthodologie


La démarche méthodologique qualitative descriptive employée dans le cadre de cette recherche exploratoire portant sur l’appropriation des médias sociaux par les professionnels en relations publiques a deux objectifs. Le premier consiste à observer comment les animateurs de communauté gèrent leurs relations avec leurs différents publics dans les médias sociaux et à ainsi valider s’ils correspondent aux indicateurs relevés dans la revue de la littérature et les codes d’éthique en relations publiques. Le second consiste à analyser l’incidence possible de ces manières de communiquer sur la e-réputation des organisations, selon les animateurs de communauté.

Pour ce faire, nous avons eu recours à diverses techniques de collecte de données. Dans un premier temps, une revue de la littérature a été effectuée dans le domaine des relations publiques portant sur la e-réputation, la gestion de la communication sensible ou de crise, et la gestion des relations. En complément, 16 entretiens semi-dirigés avec des animateurs de communauté actifs dans les médias sociaux dans les organisations publiques et privées de la province du Québec ont été réalisés. Les participants ont été recrutés par l’entremise de sites Web, de groupes et de médias sociaux réunissant des animateurs de communauté, qui constituent un métier relativement restreint et interconnecté. Ils devaient correspondre aux trois critères de sélection suivants : 1) avoir au moins 18 mois d’expérience en animation de communauté ; 2) occuper un emploi en communication ou en marketing ; 3) avoir déjà géré au moins un épisode de communication sensible ou de crise sur un média social.

Le recrutement s’est déroulé durant la période de décembre 2012 à la mi-février 2013. Quatre pré-tests ont eu lieu en début décembre 2012 afin de valider la méthode et les outils de recherche. Ces entretiens ont ensuite été intégrés à l’étude en raison du peu de changement apporté dans la grille pré-testée et de la richesse des propos obtenus. Ils ont été réalisés par vidéoconférence ou en personne et ont été captés avec le logiciel Cam Recorder et une caméra Web HD Pro C920. Le formulaire de consentement signé par les participants et les enregistrements a été conservé de manière confidentielle selon les normes approuvées par le Comité d’éthique et de recherche de l’Université Laval.

La grille d’entretien a été construite à partir des quatre éléments suivants :

  1. Les outils de gestion utilisés pour effectuer de la veille, évaluer la présence sur les médias sociaux et baliser l’utilisation de ceux-ci. On pense ici entre autres à une politique d’utilisation des médias sociaux (Dubois et al., 2011), un plan stratégique de réponses présenté sous la forme d’un schéma de gestion des commentaires (Charest et al., 2013, 2011).
  2. Les stratégies utilisées en situation de communication sensible à chacune des quatre étapes du cycle d’une crise selon la théorie du Roux-Dufort (2003) : les signes avant-coureurs, l’événement déclencheur, la phase aigüe et le redressement.
  3. Le profil sociodémographique de l’animateur de communauté et la description de son  organisation.
  4. L’importance accordée aux cinq indicateurs de la théorie de la gestion des relations de Leindgham et Bruning (1998) : la fiabilité, la transparence, l’implication, l’investissement et l’engagement à long terme. L’importance de ces cinq critères a ensuite été codée dans une grille selon une échelle de Likert allant de 1 à 5 (1 signifiant très faible et 5 très haute).

Enfin, les entretiens ont été analysés selon le protocole d’analyse de contenu de données séquentielles (Protocol analysis, verbal reports as data) développé par Ericsson et Simon (1984). Ce qui signifie que seules les données spécifiques relatives aux critères mentionnés ont fait l’objet d’analyse de contenu et non l’ensemble du verbatim recueilli lors des entretiens.

Résultats


Lors des entretiens semi-dirigés menés avec les animateurs de communauté, nous avons été en mesure de vérifier l’application dans les pratiques professionnelles du modèle théorique de l’excellence en relations publiques établi par Grunig (2002), ainsi que la valeur qu’ils accordaient aux indicateurs de la théorie de la gestion des relations de Ledingham et Bruning (1998). Le rapport de force qui s’établit entre deux parties communicantes lors

d’une communication sensible ou de crise, ainsi que les processus et les outils de gestion des relations ont également été pris en compte. Ceci dans le but d’analyser l’incidence possible de ces pratiques sur la e-réputation des organisations. Avant de présenter ces résultats, résumons d’abord le profil socio-démographique des participants.

Profil socio-démograpique des participants


Le groupe était composé de sept femmes et de neuf hommes. Les trois quarts avaient entre 25 et 34 ans. Trois participants avaient entre 35 et 44 ans et un seul était âgé entre 18 et 24 ans. Les trois quarts possédaient un baccalauréat, tandis que le tiers possédait une maîtrise. Les deux tiers des animateurs avaient également étudié en communication, en relations publiques ou en marketing. Les autres avaient une formation dans d’autres domaines tels que l’histoire et l’administration. Les participants avaient animé des communautés dans une grande variété d’organisations. Ainsi, 6/16 avaient travaillé dans une administration publique, 6/16 dans des agences ou à leur compte, 2/16 pour des universités et 2/16 dans un organisme à but non lucratif. Ils géraient des communautés contenant entre 1 000 et 50 000 internautes. Pratiquement tous les participants utilisaient Facebook et Twitter (15/16 dans les deux cas), la moitié d’entre eux utilisaient YouTube et le quart utilisait un blogue

L’existence d’un rapport de force


La Théorie de l’excellence en relations publiques de Grunig (2002) soutient que, dans un modèle de relations publiques bidirectionnel symétrique, la communication est basée sur un échange équitable entre les deux parties, basé avant tout sur la compréhension et une gestion efficace des relations. Malgré ces efforts pour maintenir une relation de confiance propre au modèle bidirectionnel symétrique, la question demeure quant à savoir s’il existe un rapport de force entre les internautes et l’animateur de communauté, ce qui signifierait alors la présence d’un modèle bidirectionnel asymétrique ou de crise 2.0 (Bloch, 2012).

Les cas de communication sensible ou de crise étudiés ont tous débuté par des commentaires d’un ou de plusieurs internautes sur un média social, qui a servi d’élément déclencheur, tel que souligné par Roux-Dufort (2003) dans les différentes étapes d’une communication de crise. Les commentaires étaient le plus souvent en lien avec un problème sur le site Web ou les médias sociaux de l’organisation (4/16), en lien avec un geste de l’organisation à l’extérieur des médias sociaux (6/16) et parfois en lien avec un enjeu extérieur à l’organisation (5/16), tel que présenté dans le tableau 1.

La plupart des situations ont eu lieu sur Facebook, mais quatre ont aussi impliqué l’usage de Twitter. On notera que les situations sensibles sur Twitter étaient généralement moins intenses que sur Facebook. Les animateurs affirmaient aussi souvent qu’ils avaient plus de facilité à gérer de telles situations sur Twitter étant donné qu’il s’agit d’un média basé sur l’instantanéité où les commentaires ne font que passer dans un fil de nouvelles au lieu de laisser une trace sur la page de l’organisation. Ce qui rejoindrait le propos de Bloch (2012) lorsqu’il recommande l’usage de Twitter en priorité par les animateurs de communauté dans une gestion de crise.

Ainsi, il est apparu que les internautes s’inscrivent effectivement dans un rapport de force face aux animateurs de communauté étant donné qu’ils peuvent : 1) provoquer des situations sensibles à loisir en diffusant des messages sur les médias sociaux ; 2) mobiliser rapidement d’autres internautes pour leur cause ; 3) publier du contenu qui échappe au contrôle de l’organisation.

Tableau 1 : études de cas de communication sensible (Nombre d’occurences sur 16 cas)

Signes avant-coureurs

  • Situation prévue par l’organisation : 11
  • Préparation active à la situation : 5

Élément déclencheur

  • Protestations sur Facebook (en lien avec le site Web ou l’activité de l’organisation sur les médias sociaux) : 4
  • Protestations sur Facebook (problème extérieur au Web, mais en lien avec l’organisation) : 7
  • Critiques sur Facebook (désaccord sur un enjeu extérieur à l’organisation) : 5
  • Critiques sur Twitter : 4

Phase aigüe

  • Ne rien faire : 3
  • Modérer les commentaires : 7
  • Répondre aux questions : 7
  • Régler un problème en lien avec la présence Web de l’organisation : 2
  • Régler un problème extérieur au Web, mais en lien avec l’organisation : 4
  • Publier des excuses ou un appel au calme et au respect : 8
  • Recherche sur les internautes à l’origine de la crise : 5
  • Constitution d’une cellule de crise : 5

Redressement

  • La crise est réglée par l’organisation : 8
  • Messages positifs des internautes: 4
  • La crise meurt d’elle-même et tombe dans l’oubli : 8

Capitalisation

  • Création ou mise à jour d’outils de gestion : 6
  • Apprentissages par l’animateur de communauté : 8
  • Apprentissages par l’organisation : 6
  • La crise a uniquement démontré la pertinence des méthodes déjà en place : 5

On peut néanmoins nuancer ce rapport de force en rappelant que la puissance des internautes dépend bien souvent de leur nombre. Ainsi, dans les cas étudiés, il est arrivé à  huit  reprises  que  la  situation  de  communication  sensible  meure  d’elle-même  après que l’animateur de communauté a choisi d’ignorer le commentaire d’un internaute ou encore de supprimer le commentaire jugé odieux ou injurieux. Soulignons que dans tous les cas de suppression, la décision était fondée sur la nétiquette établie et diffusée sur les plateformes des organisations dans leur politique d’utilisation des médias sociaux (Dubois et al., 2011), ceci dans le but d’assurer une gestion civilisée de la communication et de préserver la e-réputation des organisations. Ainsi, l’organisation possède généralement un certain contrôle en bloquant l’utilisateur ou en supprimant le commentaire. Cependant, ces
techniques ne peuvent être utilisées qu’après la diffusion du message, et parfois, le mal est déjà fait.

Malgré l’existence de ce rapport de force, il convient aussi de mentionner que l’animateur possède néanmoins un certain contrôle sur sa communauté. Ainsi, dans la moitié des cas, la situation sensible s’est réglée après que l’animateur a posé certaines actions, qu’il s’agisse de répondre aux questions de la communauté, de publier des messages d’excuse ou de modérer les commentaires vulgaires, comme l’indique le schéma de gestion des commentaires de Charest et al. (2013, 2011). Dans quatre cas, les internautes ont même pris la peine de remercier l’animateur pour la manière dont il avait géré la situation. Cette pratique professionnelle indique que c’est en établissant des mécanismes de rétroaction et en interagissant avec les internautes que les crises se sont le mieux gérées.

L’importance de la « transparence » et de la « fiabilité » dans les relations


Lors des entretiens, les animateurs ont mentionné l’importance qu’ils accordaient aux cinq indicateurs de Ledingham et Bruning (1998) sur les médias sociaux, comme présenté dans le tableau 2.

Tableau 2 : importance des indicateurs de gestion des relations
(Total 16)

  • Transparence : Très haute, 11, Haute, 5, Moyenne, 0, Faible, 0, Très faible, 0.
  • Fiabilité : Très haute, 8, Haute, 6, Moyenne, 2, Faible, 0, Très faible, 0.
  • Implication : Très haute, 4, Haute, 7, Moyenne, 5, Low, 0, Très faible, 0.
  • Investissement : Très haute, 1, Haute, 2, Moyenne, 11, Faible, 2, Très faible, 0.
  • Engagement à long terme: Très haute, 3, Haute, 8, Moyenne, 5, Faible, 0, Très faible, 0.

D’emblée, il appert que la « transparence » est l’indicateur le plus important pour la majorité des animateurs de communauté puisque 11 ont qualifié son importance de « très haute » et 5 de « haute ». Certains ont expliqué que la transparence était la raison première de leur présence sur les médias sociaux. On notera toutefois que plusieurs ont nuancé leur position en expliquant que, même si la transparence et l’honnêteté étaient de mise sur ces médias, cela n’impliquait pas que leur organisation doive impérativement diffuser du contenu qui ne l’avantagerait pas, et ce, sans avoir le sentiment de déroger aux codes d’éthique régissant leurs pratiques.

Vient en deuxième, la « fiabilité » avec 8 participants qui ont qualifié son importance de « très haute » et 6 autres de « haute ». Néanmoins, à la différence de la transparence, les animateurs n’ont pas nuancé leur position sur la fiabilité. Ils ont souvent expliqué que la crédibilité de leur organisation sur les médias sociaux dépendait en grande partie de sa fiabilité, de l’exactitude de ses propos et de la confiance qu’elle obtenait de la part de sa communauté.

Finalement, les indicateurs  « implication », « investissement » et « engagement à long terme » ont généralement été évalués avec une importance se situant entre « moyenne » et « haute ». Sans être délaissés par les animateurs de communauté, ils n’ont pas été perçus avec la même importance. De manière générale, ces trois indicateurs étaient perçus comme étant utiles pour augmenter la communauté ou susciter l’adhésion, tandis que la
transparence et la fiabilité ont plutôt été perçues comme étant les principaux piliers d’une communauté sur le Web.

Cependant, on notera aussi que malgré son importance, l’engagement à long terme est laissé en arrière plan par la plupart des animateurs de communauté qui n’ont pas nécessairement de vision ou d’objectifs à long terme quant à leur utilisation des médias sociaux, à l’inverse de ce qui est prescrit par Boussicaud et Dupin (2012).

Signes avant-coureurs, logique de communication et apprentissage


Comme le rappellent Heiderich (2010) et Roux-Dufort (2003), une crise est généralement mieux gérée si des actions sont posées dès les premiers signes avant-coureurs, c’est-à- dire avant que ne surgisse l’élément déclencheur. La même logique prévaut sur les médias sociaux, mais bien souvent les animateurs de communauté ont beaucoup moins de temps pour réagir qu’un relationniste sur les médias traditionnels (Charest, 2012). Lors des cas

étudiés, 11 animateurs avaient perçu des signes avant-coureurs, mais seulement cinq ont mené des actions pour se préparer à la gestion de la communication sensible.

On notera que dans cinq cas, les animateurs ont aussi constitué une cellule de crise rudimentaire, ou du moins, consulté et impliqué divers collègues internes et externes afin de régler la situation sensible. Selon Bloch (2012), un bon moyen de prévenir une crise est d’identifier rapidement les leaders d’opinion au sein de la communauté et d’effectuer une recherche sur ces individus. Encore une fois, cinq animateurs seulement ont mené de telles actions. Rappelons que selon Boussicaud et Dupin (2012), pour gérer sa présence sur les médias sociaux, une organisation doit impérativement intégrer diverses ressources humaines à sa culture organisationnelle et modifier sa structure de communication interne en conséquence pour survivre dans cet univers, tel que le préconise Brian Solis dans la théorie de darwinisme digital établie à partir du paradigme Adapt or die (2011). Or, moins de la moitié des animateurs de communauté interviewés avaient adopté de nouvelles logiques de communication interne.

Par contre, si l’on observe les études de cas à l’étape de redressement et de capitalisation d’un cycle de crise, soit après la phase aigüe d’une communication sensible au sens de Roux- Dufort (2003), on remarque que dans six cas la situation a entraîné des apprentissages pour l’organisation comme la création ou la mise à jour d’outils de gestion sur les médias sociaux (par exemple, l’élaboration d’une nétiquette ou d’une politique d’utilisation).

On constate donc que dans moins de la moitié des cas observés, l’organisation a capitalisé sur la situation pour améliorer son utilisation des médias sociaux. Ce qui laisse supposer que cette culture d’adaptation et de changement dans la façon de faire les communications à l’interne dans les organisations commence à être comprise par quelques-unes et à s’établir peu à peu dans les pratiques.

Enfin, on notera que les trois quarts des animateurs étaient d’avis que leur organisation intégrait suffisamment les médias sociaux à leur culture. Soulignons que ces commentaires provenaient des animateurs de communauté eux-mêmes, donc des propos jugés biaisés par rapport à d’autres professionnels de l’organisation s’ils avaient fait partie de l’étude.

Outils de gestion de la communication sensible ou de crise


La mise en place d’outils est un bon moyen de prévenir une crise, qu’il s’agisse de mécanismes de veille ou d’évaluation permettant de baliser les pratiques d’une organisation sur les

médias sociaux. Un recensement des outils utilisés par les animateurs de communauté ayant participé à notre étude est présenté dans le tableau 3

Tableau 3 : Outils de gestion (Nombre d’occurences sur 16 entretiens)

Outils de veille :
  • Tweetdeck : 9
  • Google Alerts : 12
  • Hootsuite : 8
  • Radian 6 : 3
Outils d’évaluation :
  • Statistiques Facebook : 13
  • Google Analytics : 10
Document Management :
  • Plan de gouvernance : 1
  • Politique ou stratégie d’utilisation des médias sociaux : 12
  • Schéma de gestion des commentaires : 3
  • Calendrier éditorial : 14
  • Charte éthique : 5

On remarquera ici que les outils de veille les plus utilisés par les participants sont Tweetdeck et Google Alerts. Ces outils sont gratuits comparativement à Radian 6 surtout utilisé par des organismes privés tels que des agences. La plupart des animateurs rencontrés travaillent à partir d’une politique et d’une stratégie d’utilisation des médias sociaux (12/16). Un calendrier éditorial est aussi fortement établi dans les pratiques professionnelles (14/16).

Par contre, certains outils demeurent peu utilisés malgré leur pertinence. Il s’agit notamment d’une charte éthique d’utilisation des médias sociaux et aussi des documents stratégiques de réponses tels qu’un processus et schéma de gestion des commentaires. Ce dernier schéma s’avère très utile autant pour les organisations ne disposant que d’un seul animateur de communauté qui doit s’absenter, que pour une équipe composée de plusieurs animateurs de communauté, qui doivent gérer le compte d’un même organisme. Les organisations s’assurent ainsi d’uniformiser leurs pratiques communicationnelles dans les médias sociaux, quel que soit l’animateur désigné à ce moment. Ces nouvelles façons de faire rejoindraient ainsi les nouvelles logiques de communication internes proposées par Boussicaud et Dupin (2012), susceptibles de répondre à de nouveaux besoins d’interactivité entre autres avec les médias sociaux.

Enfin, un seul animateur de communauté a signifié l’usage d’un plan de gouvernance en amont à toute politique d’utilisation dans les médias sociaux. Selon ce dernier, un plan régissant une politique claire de gestion de la communication au regard des stratégies et des actions à prendre sur les médias sociaux s’avère un outil de planification stratégique incontournable, au même titre qu’une politique globale de communication inhérente à toute organisation.

On remarquera ici que les outils de veille les plus utilisés par les participants sont Tweetdeck et Google Alerts. Ces outils sont gratuits comparativement à Radian 6 surtout utilisé par des organismes privés tels que des agences. La plupart des animateurs rencontrés travaillent à partir d’une politique et d’une stratégie d’utilisation des médias sociaux (12/16). Un calendrier éditorial est aussi fortement établi dans les pratiques professionnelles (14/16).

Par contre, certains outils demeurent peu utilisés malgré leur pertinence. Il s’agit notamment d’une charte éthique d’utilisation des médias sociaux et aussi des documents stratégiques de réponses tels qu’un processus et schéma de gestion des commentaires. Ce dernier schéma s’avère très utile autant pour les organisations ne disposant que d’un seul animateur de communauté qui doit s’absenter, que pour une équipe composée de plusieurs animateurs de communauté, qui doivent gérer le compte d’un même organisme. Les organisations s’assurent ainsi d’uniformiser leurs pratiques communicationnelles dans les médias sociaux, quel que soit l’animateur désigné à ce moment. Ces nouvelles façons de faire rejoindraient ainsi les nouvelles logiques de communication internes proposées par Boussicaud et Dupin (2012), susceptibles de répondre à de nouveaux besoins d’interactivité entre autres avec les médias sociaux.

Enfin, un seul animateur de communauté a signifié l’usage d’un plan de gouvernance en amont à toute politique d’utilisation dans les médias sociaux. Selon ce dernier, un plan régissant une politique claire de gestion de la communication au regard des stratégies et des actions à prendre sur les médias sociaux s’avère un outil de planification stratégique incontournable, au même titre qu’une politique globale de communication inhérente à toute organisation.

Conclusion et pistes de réflexion

La lecture des résultats concernant l’importance accordée aux notions de « transparence » et de « fiabilité » par les animateurs de communauté dans leurs pratiques professionnelles dans les médias sociaux semble bien démontrer la pertinence d’au moins deux des cinq indicateurs  soulignés  par  Ledingham  et  Bruning  (1998)  dans  la  théorie  de  la  gestion des relations ; les trois autres étant, rappelons-le, l’implication, l’investissement et l’engagement à long terme. Par ailleurs, la pratique professionnelle des animateurs faisant preuve  d’ouverture  et  d’honnêteté  dans  leur  gestion  des  relations  semble  également démontrer qu’ils tendent à appliquer le modèle bidirectionnel symétrique développé par Grunig correspondant également aux valeurs inhérentes aux codes d’éthique régissant la profession.

La plupart des animateurs ont aussi affirmé que bâtir une communauté solide était plus important que d’avoir une grande notoriété sur les médias sociaux. Ce qui démontre encore une fois une volonté de « connecter » avec les utilisateurs, comme le prescrit Solis (2011). On notera toutefois que certains animateurs provenant d’administrations publiques ne cherchent pas à établir ce type de relation et préfèrent utiliser les médias sociaux comme fil d’actualité en raison de la mission de leur organisation.

Cependant, pour parler d’un dispositif véritablement bidirectionnel symétrique, il faudrait qu’une organisation possède au préalable des mécanismes d’écoute et de recherche afin de s’adapter à ses publics et d’identifier rapidement les leaders en situation sensible. Bref, elle doit être attentive aux signes avant-coureurs (Heiderich, 2010 ; Roux-Dufort, 2003). À ce niveau, même si les outils de veille sont relativement répandus, on constate que peu d’efforts sont généralement faits au niveau de la recherche sur sa communauté, notamment lorsque survient une situation sensible. Souvent, les animateurs de communauté naviguent

à vue, ce qui est corroboré par le fait que la plupart des participants à l’étude n’avaient pas d’objectifs précis quant à leur utilisation des médias sociaux, à l’inverse de ce que suggèrent Boussicaud et Dupin (2012), et encore moins dans des situations sensibles.

Dans ce dernier cas, plusieurs animateurs de communauté ont choisi de ne rien faire et d’ignorer des commentaires, en espérant que la situation sensible ne s’envenimerait pas. Cependant, ne rien faire envoie tout de même un message aux internautes et l’on peut s’interroger sur l’utilité à long terme de cette pratique. Selon le processus de gestion des commentaires mis au point par Charest et al. (2013, 2011) à l’OMSRP, les commentaires négatifs devraient être supprimés, s’ils sont agressifs ou vulgaires, ou devraient être utilisés comme point de départ pour engager la conversation avec l’internaute, en public ou en privé.

Certains participants ont effectivement fait des efforts en ce sens, et ont tenté d’identifier les leaders d’une situation sensible et de dialoguer avec eux. Ce sont généralement dans ces cas précis que la situation a non seulement été réglée, mais qu’en plus les internautes ont félicité l’animateur pour son travail. Ce qui démontre notamment le pouvoir d’influence que les animateurs de communauté exercent sur leurs publics, voire l’incidence que la gestion de leurs relations avec leurs publics peut avoir sur la e-réputation d’une organisation.

Ce qui nous rappelle, entre autres, les travaux d’influence menés par Katz et Lazarsfeld en 1955, sur les leaders d’opinion et l’influence démontrée que ces leaders exerçait dans leurs réseaux interpersonnels. Il serait intéressant d’examiner à nouveau cette dynamique d’interinfluence cette fois dans le nouvel écosystème généré par les médias sociaux, et de tenter d’identifier les indicateurs qui caractérisent les leaders d’opinion dans leurs réseaux d’influence, à partir du point de vue des animateurs de communauté.

Enfin, à la lumière de ce constat d’influence exercé par les animateurs de communauté sur leurs divers publics dans le cadre de cette étude exploratoire, on peut supposer que les animateurs qui ont le mieux géré les situations sensibles sont ceux qui ont mis en place, au préalable, des mécanismes d’écoute et de recherche afin de développer un rapport d’égal à égal. Ce rapport d’égalité entre les deux parties communicantes est primordial dans une communication dite symétrique, et l’on suppose qu’en s’adaptant à l’internaute et en étant à l’affût des signes avant-coureurs, l’animateur de communauté peut remédier au rapport de force vécu avec l’internaute, voire l’influencer de façon favorable envers l’organisation et ainsi protéger des réputations.

Références


  • Balagué  D.  et  D.  Fayon  (2011).  Réseaux  sociaux  et  entreprise  :  les  bonnes  pratiquesFacebook, Twitter, Google +, LinkedIn YouTube… Orléans, France : Éditions Pearson.
  • Bérubé, P. (2012). De l’interphone à Internet : les alertes de la communication en situationd’urgence  dans  une  société  de  risques  et  de  réseaux.  Thèse  doctorale,  Montréal  : Université du Québec à Montréal (UQAM).
  • Blanc, M. (2011). Les médias sociaux 201 : comment écouter, jaser et interagir sur les médias sociaux, Montréal : Éditions Logiques.
  • Bloch, E. (2012). Communication de crise et médias sociaux. Paris : Dunod.
  • Bonneau, C. (2012). «Joindre une conversation sans y avoir été invité: les normes éthiques informelles des acteurs commerciaux pour l’envoi de réponses non sollicitées sur Twitter», dans S. Proulx, M. Millette et
  • L. Heaton (dir.). Médias sociaux : enjeux pour la communication, Québec : Presses de l’Université du Québec (PUQ). 247-257.
  • Boussicaud, R. et A. Dupin (2012). Tout savoir sur… La marque face aux bad buzz# Anticiper et gérer les crises sur les médias sociaux. Bluffy, France : Éditions Kawa.
  • Charest, F. et F. Bédard (2013). Les racines communicationnelles du Web et des médias sociaux. Québec : Presses de l’Université du Québec (PUQ).
  • Charest, F., Gauthier, A.-M. et F. Grenon (2013). « Appropriation et usages des médias sociaux par les professionnels en communication », dans Communication et Organisation, no. 43, vol. 2, juin 2013, pp. 269-280.
  • Charest, F. et A.-M. Gauthier (2012). « Changement de logique et des Arts de faire dans les pratiques communicationnelles avec les médias sociaux », dans Communication et Organisation, no. 41, vol. 4, décembre 2012, pp. 15-25.
  • Charest, F. (2012). « Enjeux professionnels et organisationnels des Relations publiquesWeb 2.0», dans Revue internationale des relations publiques, Vol. 2, No. 4,   pp 31-50. REVISTA INTERNACIONAL DE RELACIONES PÚBLICAS, Nº 4, VOL. II [Páginas 31-50] 2012. Paru également sur le site Web de l’Observatoire des médias sociaux enrelations publiques.
  • Dubois, D., Pelletier, E. et K. Poirier (2011). Comment bâtir votre politique d’utilisation des médias sociaux. Cowansville : Éditions Yvon Blais.
  • Grunig, L., Grunig, J.E. et D.M. Dozier (2002). Excellent Public Relations and Effective Organizations : a study of Communication in Three countries. New York : Mahwah, Larence Erlbault Associates.
  • Ericsson, K.A. et H.A. Simon (1984) Protocol analysis, verbal reports as data, Cambridge, Massachusetts; London, England : The MIT Press.
  • Grunig, J.E. et T. Hunt (1984). Managing Public Relations. New York : Holt, Rinehart andWinston.
  • Habermas. J. (2001, 1987). Théorie de l’agir communicationnel. Paris : Fayard, 2001. Heiderich D. (2010) Plan de gestion de crise Organiser, gérer et communiquer en situationde crise. Paris : Dunod.
  • Libaert, T. (2010). La communication de crise, Paris: Dunod.
  • Maisonneuve, D. (2010). Les relations publiques dans une société en mouvance, Québec : Presses de l’Université du Québec, 4è édition.
  • Motulsky, B., Breduillieard, P. et B. Cordelier (2011). Comparaison des résultats du sondage sur l’utilisation des médias sociaux dans l’industrie des communications entre 2008 et2011. Chaire de relations publiques et communication marketing. Montréal : Universitédu Québec à Montréal (UQÀM).
  • Roux-Dufort, C. (2003). Gérer et décider en situation de crise. Paris: Dunod.
  • Solis, Brian (2011). Engage! Hoboken, New Jersey: Wiley and Sons Inc.
  • Stenger, T. et A. Coutant (2011). Community management et community managers : Cheval de  Troie marketing pour le web social ? Actes du Colloque « Web social, communautés virtuelles et consommation », 79è congrès international Acfas, Chaire de relations publiques et communication marketing – UQAM, Université de Sherbrooke, 11 mai 2011.

Liens Internet

  • CEFRIO  (2012).  NETendances  2012  :  les  médias  sociaux  ancrés  dans  les  habitudes des Québécois. En ligne. http://www.cefrio.qc.ca/fileadmin/documents/Rapports/ NETendances_1-reseaux_sociaux_LR_.pdf. [9 mars 2013].
  • Charest, F., Gauthier, A.M. et F. Grenon (2011). « Comment gérer les commentaires dans les médias sociaux », Observatoire des médias sociaux en relations publiques Université Laval, Québec, Canada, http://bit.ly/XLnt6d . [14 décembre 2011].
  • Heiderich, D. (2009). « Influence sur Internet ». Le magazine de la communication de crise et sensible. L’Observatoire de communication de crise de Thierry Liabert. Vol. 16. pdf.
  • Heiderich, D. (2011). « Les risques du « community management » pour la reputation». Le magazine de la communication de crise et sensible. L’Observatoire de communication de crise de Thierry Liabert. Vol. 19. pdf.
  • Grunig, J.E. (2009). The Shifting Paradigm fo Public Relations Under Digitalization, présentation Power Point, lors d’une conférence à la Hong Kong School of Communnication. http://www.prconversations.com/. [5 septembre 2009].
  • Owyang,  J.  et  al.,  Groupe  Altimeter  (2001)  Social  business  readiness:  How  AdvanceCompanies Prepare Internally. Social media crises are on rise, yet many can be avoid through preparation, http://bit.ly/Qqojkv. [31 août 2011].
  • Schultz, F., Utz, S., et A. Göritz (2011). « IIs the medium the message? Perceptions of and reactions to crisis communication via twitter, blogs and traditional media ». Public relations review. Vol. 37 (1). 20-27.
  • Solis, B., Brian Solis on Digital Darwinism and Customer-Centricity, http://bit.ly/ynXw3a, Conversation sur Internet, Temps forts d’une interview de Brian Solis – auteur du livre “The End of Business as Usual” – par JP Declerck. [décembre 2011].

1. Avec la publication, en 2009, de la norme ISO 31 000 intitulée « Management du risque. Principes et lignes directrices », l’Organisation internationale de normalisation établissait les bases d’une approche modèle en gestion des risques. La Norme ISO 31 000, adoptée par l’organisme le 15 novembre 2009, a également été adoptée sans modifications par l’Association canadienne de normalisation et publiée en janvier 2010 sous le numéro CAN/CSA- ISO 31000-10 (Bérubé, 2012 : 35).

2. Les « meme » contraction du Grec mimema (quelque chose d’imité), sont des « objets » (films, textes, photos) qui se diffusent à toute vitesse sur Internet, de personnes à personnes.