Enjeux professionnels et organisationnels des Relations publiques Web 2.0
Francine Charest
Département d’information et de communication, Université Laval
Francine.charest@com.ulaval.ca
Résumé
Le Web 2.0, regroupant les Facebook, Twitter, YouTube et autres médias sociaux, est considéré comme l’un des plus puissants outils de communication, en ce début de XX1 siècle. C’est sous l’angle de mutations qu’il induit sur les pratiques des professionnels en relations publiques, qu’il nous intéresse d’étudier les enjeux de l’évolution des usages du Web 2.0. Charest et Bédard ont montré en 2009 que le Web 2.0 était la revanche des internautes qui tentent de se réapproprier le Web tel qu’il avait été conçu par Tim Berners-Lee en novembre 1993, soit comme un outil d’échange et de partage d’information. Il a été clairement montré que la première génération de Web a plutôt été utilisée par les gestionnaires à des fins de diffusion et de promotion. L’appropriation de ces nouveaux médias par les relationnistes passe nécessairement par de nouveaux modèles d’affaires, voire de nouvelles façons de communiquer.
Mots-clés
Communication, Médias sociaux, Modèles d’affaires, Pratiques, Relations publiques, Web 2.0.
Abstract
The Web 2.0, which includes Facebook, Twitter, Youtube and other social medias, is considered as to be one of the strongest communication tools of the early 21st century. The Web evolution has changed deeply the way Public relations agents operate. In 2009, Charest and Bédard have shown that the Web 2.0 was in fact a reclaim by the internet users of the Web as it was first imagined by Tim Berners-Lee in November 1993 : a tool to exchange and share information. The Web first generation has instead been used by the administrators for dissemination and promotion. Today, in order to appropriate themselves these new medias, PR agents have to find new business models, even new ways to communicate.
Keywords
Communication, Business model, Practices, Public relations, Social media, Web 2.0.
Francine Charest, Ph.D., est professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval, à Québec au Canada. Dès son arrivée en 2010, elle met en place l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques, en s’assurant la pleine collaboration du milieu de la recherche universitaire en communication, des professionnels du domaine et des étudiants chercheurs du Département et d’autres universités québécoises et ontariennes.
Introduction
Le Web 2.0[1], regroupant les Facebook, Twitter, YouTube, LinkedIn et autres médias sociaux, est considéré comme l’un des plus puissants outils de communication, en ce début de XXI siècle. Ce phénomène suscite de multiples questionnements sur le plan communicationnel et social. C’est sous l’angle des mutations qu’il induit sur les pratiques des professionnels en relations publiques, qu’il nous intéresse d’étudier les enjeux des usages du Web 2.0. Charest et Bédard (2009) ont montré que cette deuxième génération du Web était la revanche des internautes qui tentent de se réapproprier ce moyen de communication tel qu’il avait été conçu par Tim Berners-Lee en novembre 1993[2], soit comme un outil d’échange et de partage d’information. Il a été clairement montré que la première génération de Web a plutôt été utilisée par les gestionnaires à des fins de diffusion et de promotion.
Or, cette réappropriation du Web par les usagers oblige les professionnels des relations publiques à utiliser ces nouveaux médias comme une plateforme interactive avec leurs publics pour ainsi satisfaire les besoins d’information et de communication associés aux nouvelles façons de communiquer dans les médias sociaux, ce à quoi nous ont sensibilisé Ledingham et Bruning (1998, 2003) depuis la théorie de la gestion des relations adaptée à ces nouveaux médias. Ce nouvel Art de faire[3] rejoint le modèle précurseur de la communication en relations publiques développé dès 1984 par Grunig et Hunt, celui de la communication symétrique bidirectionnelle. Ce modèle porteur en communication aborde, en effet, deux dimensions incontournables à la profession soit les «communications» et les «relations», jetant ainsi les bases à ce qu’allait devenir les pratiques Web 2.0 des relationnistes avec les médias sociaux presque trente ans plus tard. À travers une revue documentaire du champ de la communication de masse et organisationnelle résolument axée sur l’origine des pratiques communicationnelles Web 2.0, observons comment certains modèles théoriques peuvent s’avérer utiles pour comprendre les enjeux de ces pratiques dans les médias sociaux.
Fondements théoriques des pratiques communicationnelles Web 2.0 des relationnistes
La communauté de chercheurs reconnaît à Grunig et Hunt (1984) la paternité de l’une des contributions théoriques les plus importantes à ce jour dans le domaine des relations publiques depuis l’établissement du modèle de la communication symétrique bidirectionnelle. Ce dernier décline d’abord quatre types de pratiques des relations publiques : la promotion, l’information du public, la communication bidirectionnelle asymétrique et enfin, la communication bidirectionnelle symétrique. Dans sa thèse doctorale, Bérubé (2012, p. 31) résume simplement cette typologie sous le vocable promotion, information, conviction et dialogue.
Dans les deux premiers types, l’information circule de façon unidirectionnelle et hiérarchique. Dans les deux suivants, l’information circule dans les deux sens, de l’organisation vers ses publics et réciproquement. Grunig et al. (2002) critiquent eux-mêmes les deux premiers types de pratiques :
[…] les modèles de l’agent de presse / promotion représentent une pratique inefficace de relations publiques. Ils visent uniquement, et ce, par des moyens de persuasion à mettre en évidence les aspects positifs des organisations, […] approche promotionnelle souvent propagandiste [qui] ne peut conduire à l’établissement de relations de confiance à long terme […] » (Traduction libre citée dans Maisonneuve, 2010, p. 16).
Ce ne sont que dans les deux derniers types de communication bidirectionnelle que sont développés des mécanismes de communication qui font appel de manière plus systématique à des activités de recherche et d’évaluation, par exemple, la mise en place de sondages ou autres processus de consultation facilité par les médias sociaux. Ces outils sont conçus dans le but de donner la possibilité aux parties prenantes[4] de l’organisation de s’exprimer et ainsi recueillir des informations sur les perceptions des publics. Bien que ces mécanismes dépassent les modèles diffusionnistes, une distinction importante existe aussi entre ces deux derniers types de pratiques. L’un se veut une communication bidirectionnelle asymétrique n’accordant aucun pouvoir aux gens sur les décisions les concernant tandis que l’autre, le modèle de communication bidirectionnelle symétrique permet enfin aux interlocuteurs de détenir une influence dans le processus de communication, martèlent à nouveau Grunig et al. (2002) dans la théorie de l’excellence.
C’est précisément ce quatrième modèle, celui de la communication bidirectionnelle symétrique qui a soulevé le plus de réticences quant à son application dans les organisations, parce qu’il implique «une écoute des besoins et des intérêts des publics par les organisations, dans un échange équitable pour les deux parties, [remplaçant ainsi] la persuasion par la compréhension», souligne Bérubé (2012, p. 32). La théorie de l’excellence de Grunig et al. a inspiré également les chercheurs Fischoff et Leiss qui ont développé à leur tour un modèle de gestion des communications en situation de risques, adopté par l’Organisation internationale de normalisation en 2009 et reconnu internationalement par l’établissement de la norme ISO 3100[5]. Bérubé ajoute :
qu’à l’heure du Web social et de ses nombreux outils de communication bidirectionnelle, les processus d’écoute des publics n’est plus une avenue aussi coûteuse et laborieuse qu’à une époque où les organisations devaient obligatoirement procéder par sondages ou groupes de discussion. Dans cette perspective, le rôle des responsables des communications tend lui aussi à se redéfinir pour adopter une posture de dialogue plutôt qu’une posture de diffusion. (Bérubé, 2012, p. 32).
Cette posture dialogique (Millette, 2012) permet ainsi aux relationnistes de jouer un rôle de «facilitateur» dans le processus communicationnel basé sur un échange réciproque dans lequel s’établit des relations de confiance. Cette perspective nous rapproche du modèle idéal, voire utopique, selon certains, du modèle de communication pratiqué par les relationnistes sous l’angle de la «conversation» dans les médias sociaux (Bonneau, 2012). Quoiqu’il en soit, force est d’admettre que le paradigme de la diffusion s’est progressivement déplacé vers le paradigme de la réception dans l’appropriation des médias sociaux pour ainsi faire place à des interactions continues entre l’usager et les organisations notamment par l’entremise des relationnistes.
Cette mutation de la pratique des professionnels en relations publiques s’est donc effectuée à partir d’une communication bidirectionnelle symétrique vers des modèles de pratiques «pluridirectionnels» qui conduit à une gestion participative. C’est ce modèle qui est privilégié pour améliorer la pratique des relations publiques « dans un effort de coconstruction de sens avec les publics et les acteurs de l’organisation », selon Maisonneuve (2010, p. 17). Quant à Sauvé (2010, p. 8), c’est «l’accélération du rythme de production de la connaissance et la démocratisation de celle-ci, par le biais d’outils de diffusion qui n’ont jamais été si nombreux, accessible et interactifs», qui explique le mieux l’essor des médias sociaux et modifie ainsi les relations notamment dans les organisations.
Ainsi, le contexte favorable de la démocratisation des outils de diffusion et de son appropriation par les usagers a conduit à l’émergence des médias sociaux qui a changé irrémédiablement nos façons planétaires de communiquer. Ces nouvelles manières de faire transposées dans la pratique des relations publiques soulèvent une dimension incontournable du phénomène de la communication à prendre en compte, celle des réseaux.
Définition des réseaux et médias sociaux en communication de masse et organisationnelle
Rogers a été l’un des premiers auteurs en 1986, à aborder la dimension de «réseau» en communication de masse dans le cadre de ses travaux portant sur la diffusion des innovations. L’auteur définit le réseau comme « des individus intereliés qui sont unis par une communication organisée » (citée dans Charest, 2007, op cit, traduction libre).
Bien que l’appellation «réseaux sociaux» soit utilisé par les professionnels et universitaires européens c’est plutôt l’appellation «médias sociaux», qui est l’usage du côté nord-américain notamment dans le domaine des relations publiques issu du champ de la communication organisationnelle. Réseaux ou médias, une définition s’impose. Selon Dupin (2010, p. 90) «On peut envisager les réseaux sociaux comme des sites reposant sur un lien social, et les médias sociaux comme l’ensemble des sites proposant une interaction sociale». Dans cette perspective, les réseaux sociaux sont une partie des médias sociaux.
Lavigne poursuit cette réflexion et propose une distinction significative entre les deux expressions utilisées lors d’un séminaire Web (Webinaire) organisé par l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques de l’Université Laval, en mai 2012. Selon ce professeur, le phénomène est tridimensionnel : réseau social, média et numérique.
Pour la plupart des plateformes 2.0 (Facebook, MySpace, etc.), c’est la finalité de réseau social qui prime. Néanmoins, celles-ci sont aussi des médias en tant que supports/outils de communication. Ces deux dimensions intrinsèques à toutes ces plateformes doivent enfin être systématiquement liées à leur troisième dimension constitutive, soit le numérique. L’appellation générique la plus juste serait donc celle de «réseaux/médias socionumériques» (r/ms), qui en traduit dans l’ordre l’ensemble des dimensions.
Comment identifier alors les plateformes 2.0 où c’est la finalité du média (blogues, YouTube, etc.) qui prime sur celle du réseau? Leur identification pourrait alors prendre en compte leur dominante en inversant les deux premiers qualificatifs de l’appellation générique ainsi : «médias/réseaux socionumériques» (Lavigne, 11 mai 2012) [6].
Le terme réseau social est récupéré par les chercheurs en sciences dont Karinthy en 1929, qui a abordé le principe des « six degrés de séparation », développé plus tard par Joël Mitch (2010). Résumée simplement, cette théorie soutient que le monde est potentiellement relié à un autre par un maximum de six relations intermédiaires. Ainsi par le biais d’Internet, il est possible d’accéder à d’autres internautes de façon exponentielle selon différents niveaux par l’entremise d’autres internautes. C’est la base même de la dynamique des interactions sur les réseaux sociaux, tels que Facebook avec qui nous avons accès à d’autres internautes par nos «amis» ou encore de la plateforme professionnelle LinkedIn grâce à laquelle nous avons accès à des «cercles d’affaires» par des «profils» d’utilisateurs.
Dans le cadre des pratiques communicationnelles Web 2.0 en relations publiques, puisqu’il s’agit de «communication» et de «relations» inscrites dans le paradigme de l’usager interagissant de façon bidirectionnelle symétrique et sensée avec ses différents publics, le terme inclusif «médias sociaux» est donc plus approprié dans ce secteur d’activités et de recherche de la communication. Et puisqu’il s’agit de «relations», nous verrons cette notion plus en profondeur.
Démarche méthodologique
À partir de travaux issus du champ de la communication de masse et de la communication organisationnelle spécifique aux relations publiques, une revue documentaire abordant les deux premières décennies du Web, soit de 1994 à 2012, est présentée. Elle permet de dégager l’apport significatif de travaux phares dans cette discipline susceptibles d’expliquer le phénomène des pratiques communicationnelles Web 2.0 et d’en saisir les principaux enjeux professionnels et organisationnels.
La gestion des relations dans les médias sociaux
Bien que le domaine des relations publiques repose sur la notion centrale de « relation », ce n’est qu’en 1998 que Ledingham et Bruning élaborent la théorie de gestion des relations (Relations Management), développée à partir de cinq indicateurs : la fiabilité (level of trust), la transparence (openness), l’implication (involvement), l’investissement (investment), et l’engagement à long terme (commitment). Kugler (2010, p. 18) précise les caractéristiques de ces indicateurs :
- la fiabilité signifie que l’organisation fait ce qu’elle a dit qu’elle ferait ;
- la transparence, qu’elle partage avec les publics ses projets d’avenir ;
- l’implication, qu’elle participe au bien être de sa communauté d’implantation ;
- l’investissement, qu’elle y participe financièrement ;
- l’engagement, que l’organisation participe activement à l’amélioration du bien-être de sa communauté dans une perspective de long terme.
Afin que ces indicateurs relationnels fassent partie intégrante des pratiques communicationnelles Web 2.0 des relationnistes, l’élaboration de stratégies s’impose. Pour ce faire, une abondante littérature récente propose diverses façons de faire en relations publiques qui se recoupent (Balagué, Fayon, 2010 ; Blanc et Seraiocco, 2010 ; Blanc, 2011 ; Dupin, 2010 ; Joël, 2010 ; Malaison, 2007 ; Morin, 2010 ; Ruette-Guyot, Leclerc, 2009) pour n’en citer que quelques-uns. Charest, Gauthier et Grenon (2011) recensent ces différentes recommandations et proposent une stratégie d’intégration des médias sociaux en dix étapes[7] dans une communication présentée dans le cadre d’un colloque tenu en décembre 2011 à Aix-en-Provence en France. Les étapes se résument comme suit :
- Veiller et observer
- Analyser les besoins
- Identifier les publics ou clientèles et établir les objectifs
- Choisir les outils et créer les profils
- Prévoir des contenus pour chaque média
- Adopter des outils de gestion
- Former et mobiliser les ressources
- Engager la conversation (interagir, échanger et partager)
- Créer une communauté d’intérêts
- Évaluer et ajuster, établir une veille permanente
Selon les auteurs, l’intégration de ces étapes stratégiques dans les pratiques communicationnelles Web 2.0 des relationnistes représente une démarche d’intégration réussie. Elle s’avère nécessaire et incontournable à l’établissement de bonnes pratiques interactives et à la gestion des relations avec les différents publics.
Outre l’intégration de ces stratégies Web 2.0 dans les pratiques, les gestionnaires des relations doivent développer des campagnes de communication favorisant l’accès à l’information, une attitude positive, faire preuve d’ouverture et d’assurance, entretenir des relations de réseautage et s’assurer du partage des tâches. L’établissement de telles stratégies devrait entraîner des résultats en termes de «contrôle réciproque, de confiance, de satisfaction et d’engagement des publics envers l’organisation, [et de ce fait], améliorer la performance», (Kugler, 2010, p. 18). Au-delà de l’intégration de stratégies, l’élaboration d’une campagne de communication soucieuse d’intégrer une gestion de relation saine devrait dépasser les limites de penser la communication sous forme de «stratégies» et de «moyens» et y intégrer la notion d’ «interactions», propose-t-elle. Cette notion conceptuelle interactive serait prise en compte et intégrée non seulement dans les campagnes élaborées pour les membres internes des organisations mais aussi pour les organisations entre elles et leurs publics externes respectifs. L’objectif ultime étant la construction et le maintien des relations de confiance axées sur un dialogue et un résultat équitable pour l’ensemble des parties prenantes internes et externes des organisations.
Et enfin, pour intégrer cet objectif interactif dans la gestion des relations et des pratiques communicationnelles Web 2.0, les relationnistes doivent respecter les valeurs inhérentes aux médias sociaux. Charest, Gauthier, Grenon (2011)[8] les résument comme suit. Il s’agit de faire preuve de transparence, de partage, de validation et de respect de la logique des médias sociaux, proches des indicateurs de Ledingham et Bruning. Bien que Bérubé (2012, op cit) nous a sensibilisé aux avantages de la théorie de l’excellence de Grunig et al. reconnu internationalement aujourd’hui et appliqué dans maintes organisations, ce modèle axé précisément sur un pouvoir partagé entre les diverses parties prenantes (incluant les publics silencieux de Noelle-Neuman), exige cette gestion rigoureuse des relations dans les médias sociaux basée sur le respect des valeurs inhérentes propres aux communications interactives Web 2.0.
Or, afin d’optimiser cette gestion rigoureuse des relations dans les médias sociaux, les relationnistes doivent relever un défi de taille : accepter de perdre une partie du «contrôle» dans leurs actions de communication, comme le souligne Macnamara (2010, p. 9) : « Web 2.0 media «shift PR from command driven, top-down communication to a symmetrical conversation», according to UK public relations scholar Philip Young (2006, para. 31), but there remains little evidence of this in practice ».
L’appropriation des médias sociaux par les relationnistes représente en effet une occasion pour les relationnistes d’améliorer leurs communications interactives en adoptant la posture réceptive dialogique, tel que le souligne Millette (2012, p. 236) :
Les médias sociaux, avec leur dynamique participative, paraissent un lieu privilégié pour réaliser le passage des relations publiques d’une logique de contrôle à une logique dialogique. En témoignent notamment les discours entourant les « relations publiques 2.0 » et appelant l’industrie à se renouveler et à changer ses manières de faire et de penser.
Ces nouvelles manières de faire des relations publiques dans les médias sociaux en pratiquant les activités communicationnelles à partir d’une posture réceptive et interactive plutôt qu’émettrice, nous éloigne définitivement du modèle à connotation fort péjorative du Spin Doctor (Dumas, 2010) pour emprunter plutôt un mode communicationnel opposé, le Slow PR.
Le Slow PR et la communication «sensible»
Plus de cent ans après la naissance des pratiques professionnelles des relations publiques, Thierry Libaert, chercheur principal de l’Observatoire International des Crises (2010) propose une nouvelle manière de faire qu’il serait opportun d’envisager, le mouvement Slow PR. En paradoxe à la communication qui vit dans l’urgence permanente, il s’avère nécessaire de se réapproprier la perspective temporelle dans nos activités de communication, selon l’auteur.
Inspiré par les mouvements Slow food né en Italie en 1989 et du Slow design créé en Angleterre en 2004, qui ont pour finalité la réappropriation du plaisir et de la qualité de production et de consommation de denrées ou de biens dans une perspective durable plutôt qu’éphémère, Libaert applique ce mouvement aux relations publiques, le Slow PR. Cette nouvelle pratique aurait pour :
objectif de proposer des stratégies de communication basées sur des valeurs de développement durable à savoir, l’échange, le respect, la flexibilité des outils et la stabilité des messages. […] Cette conception des relations publiques dé-segmente les processus de communication en les ouvrant de manière horizontale et verticale. Horizontale car la communication considère l’ensemble des cibles de ses messages et non seulement son noyau central, et verticale car elle se situe dans une perspective temporelle où le dispositif de création et de diffusion des messages s’effectue sur le temps long. (Libaert, en ligne).
Sous cette perspective, la communication ne viserait plus à séduire mais chercherait davantage à s’inscrire dans un processus utilitariste puisque ce serait la responsabilité sociale des organisations qui serait dominante, et ce, dans une préoccupation à long terme. De plus, cette conception des relations publiques prend en compte l’ensemble des publics comme acteurs participants à la construction de la communication sur une base durable et respectueuse.
Ce qui amène Hiederich, chercheur et éditeur du magazine Communication de crise et sensible à prôner un retour en force de l’agora dans le milieu des communications. À partir des moyens mis à la disposition de tous depuis l’avènement d’Internet, rappelle-t-il, ces outils modifient considérablement la relation émetteur / récepteur qui s’est construite progressivement depuis que Ivy Lee a inventé la pratique des relations publiques au début du siècle dernier, rappelle-t-il (2010, en ligne).
Aujourd’hui le récepteur se rebiffe, [ …] Il en résulte une sensibilité à la communication dont la nature contractuelle autant que transactionnelle est modifiée. […] Parce qu’un acte communicationnel, aussi léger soit-il participe à dessiner le futur, […] les messages ne peuvent plus se satisfaire de l’ostentatoire, mais demandent d’être élaborés par «petites touches», adaptées au public, dans l’esprit des relations publiques. Chaque lieu, chaque communauté, possède ses codes et tout particulièrement sur les réseaux sociaux sur lesquels la moindre erreur peut conduire à un brouhaha qui défait une réputation. Nous prônons une communication de contour qui, touche par touche, dessine l’image de l’organisation ou répond au monde sensible. (Heiderich, 2010, en ligne).
Il en résulte ainsi pour les relationnistes une mission nouvelle, devenue sensible particulièrement dans les médias sociaux, soit celle d’abandonner la linéarité des stratégies de communication et la performance à tout prix au profit d’une vision pluridimensionnelle et éco-responsable. Sans cette vision d’actions communicationnelles responsables, «la communication perd son intégrité et la moindre bourrasque peut déstabiliser une réputation», souligne Heiderich (2010, op cit). Les pratiques communicationnelles devraient ainsi s’inscrire dans cette logique d’intégrité et évoluer «vers une nouvelle approche où les frontières entre disciplines tendant à se réduire au profit d’une approche plus globale et plus flexible», ajoute-t-il.
Cette approche communicationnelle proposée rejoint ainsi le modèle idéal de la communication bidirectionnelle symétrique de Grunig et Hunt (1984), devenue la théorie de l’excellence en relations publiques de Grunig et al. (2002), la théorie de la gestion des relations de Ledingham et Bruning ainsi qu’un changement de logique dans les Arts de faire les pratiques communicationnelles Web 2.0 (Charest, Gauthier, 2012). Elle rejoint enfin la logique d’usage des médias sociaux évoquée par maints auteurs recensés par Charest, Gauthier et Grenon (2011) recommandant tous une pratique respectueuse, équitable et éthique des relations publiques.
Le Web 2.0 et les médias sociaux : enjeux communicationnels pour les relationnistes
L’explosion des usages et des médias sociaux représente un enjeu communicationnel réel pour les relationnistes et les organisations. Ils ne peuvent se permettre de rater ce «virage» 2.0 (Morin, 2010) sans compter l’émergence évidente de la troisième génération du Web, le Web sémantique[9]. Drouard confirme l’importance pour les organisations d’intégrer les médias sociaux au même titre que les organisations n’avaient pas plus de raisons et de risques de créer un site Web, il y a quelques années.
Elles doivent questionner d’abord l’intérêt de ne pas participer aux réseaux sociaux plutôt que celui d’y participer. Ces réseaux sont un médium de communication à part entière, particulièrement bien référencé par les moteurs de recherche. Il est donc crucial d’y prendre la parole ou d’influencer celle des membres de ces réseaux plutôt que laisser les autres – vos salariés et stagiaires, vos clients - parler de vous à votre place… ou vous ignorer au plus grand bénéfice de vos concurrents. (Drouard, cité dans Balagué, Fayon, 2010, p. 207).
Le risque de non investissement (RNI) dans les médias sociaux deviendrait donc de plus en plus problématique pour les organisations. La question que tout gestionnaire doit se poser devient la suivante : quel est le coût d’opportunité de ne pas investir dans les médias sociaux? Selon Bladier (2012), l’«earned media», (le marketing gagné)[10] représente sans doute l’un des premiers bénéfices pour tout gestionnaire soucieux de connaître ce qui se dit sur son organisation, et ainsi, agir de façon favorable en fonction des intérêts de cette dernière. Bladier résume les bénéfices du «marketing gagné» comme suit :
[C’est] «quand les consommateurs deviennent les ambassadeurs : bouche-à-oreille, buzz, viralité. C’est le plus crédible. C’est-à-dire le résultat optimal d’une bonne coordination entre le marketing «payant», et le marketing «propriétaire». Les réseaux sociaux vont amplifier votre communication, à faible coût et avec un fort effet de levier. Ce sont une extension du site vitrine» (Bladier, 2012, p. 103)[11].
Ainsi, la question n’est plus de se demander si les relationnistes doivent s’approprier et intégrer ces nouveaux modes et outils de communication dans leurs stratégies, mais plutôt comment (Charest, Gauthier, Grenon, 2011) et ce, en développant des compétences et des stratégies de communication adaptées en amont plutôt qu’en aval. Comme le souligne, Dupin (2010), l’élaboration de stratégies est d’abord une «réflexion et non un réflexe».
En outre, les organisations ont besoin de rencontrer leurs publics là où ils se trouvent. Or, depuis que ces publics ont des espaces d’expression qui ne leur sont pas imposés, mais plutôt mis à leur disposition 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, les relationnistes ne peuvent faire fi de ces espaces publics alimentés par les conversations des usagers. Nous savons, en ce qui concerne la gestion de l’image et de la visibilité des organisations, que la réputation de ces dernières se fait et se « défait » de façon directe et très rapidement sans que les principaux concernés n’aient pu intervenir parfois ou encore réagir, mais trop tard, (Motulski, Breduillieard et Cordelier, 2011). Il vaut donc mieux gérer soi-même son image plutôt que de laisser les autres le faire à notre place.
Sans compter que la visibilité accrue par le «bouche-à-oreille» dans les médias sociaux représente une belle opportunité pour les relationnistes d’identifier les leaders d’opinion dont le pouvoir d’influence exercé dans leurs réseaux interpersonnels a été démontré depuis fort longtemps par les travaux de Katz et Lazarsfeld en 1955. Une fois les influenceurs identifiés, les relationnistes sont ainsi en mesure d’utiliser ces relayeurs d’information pour communiquer des messages auprès des divers publics ou parties prenantes de l’organisation. Ces retombées peuvent s’avérer positives et dans les intérêts d’une organisation, tout comme elles peuvent représenter un risque et ainsi générer des informations susceptibles de nuire.
Quoiqu’il en soit, une présence dans les médias sociaux s’avère importante en situation susceptible de dégénérer en crise. À cet effet, rappelons que Libaert (2010) propose des stratégies de communication interactive en privilégiant un mode de communication durable et respectueux, le Slow PR, ce mouvement permettant d’établir une gestion saine des relations avec ses publics. Or, nous savons que les organisations qui jouissent déjà d’un capital de sympathie vont mieux réussir à gérer les risques et les retombées négatives à la suite d’une crise (Bérubé, 2012) que celles qui n’auront pas collaboré à créer, maintenir et développer des liens de confiance mutuelle entre les organisations et leurs publics (Maisonneuve, 2010). Contrairement à la communication en situation de crise qui vit dans l’urgence permanente, il s’avère nécessaire de se réapproprier la perspective temporelle dans nos activités de communication, et ce, en appuyant nos assises communicationnelles dans une perspective responsable et durable (Libaert, 2010).
Enfin, Heiderich (2010) propose une mission nouvelle pour la communication devenue sensible dans les médias sociaux, soit celle d’abandonner la linéarité des stratégies de communication pour adopter une vision pluridimensionnelle et éco-responsable. La moindre bourrasque dans les médias sociaux, rappelle-t-il, peut déstabiliser une réputation. Les pratiques communicationnelles devraient donc s’inscrire dans une logique d’intégrité et évoluer vers de nouvelles approches plus globales, systémiques et flexibles
L’émergence de nouvelles compétences communicationnelles montre clairement la transition des modèles d’affaires des organisations et le passage obligé d’une organisation hiérarchique unidirectionnelle vers une organisation horizontale et enfin, vers une organisation élargie avec notamment le «crowdsourcing»[12]. De façon plus spécifique, nous percevons clairement le décloisonnement des jeux de pouvoir et des outils de communication vers une collaboration plus participative de tous grâce à des informations partagées et à un accès systématique aux données. Autrement dit, d’une culture organisationnelle unidirectionnelle et hiérarchique, les nouveaux modèles d’affaires induits par les nouvelles technologies permettent ainsi aux organisations de renouveler leurs façons de faire et de mieux communiquer.
Les enjeux revêtent donc une importance capitale pour les organisations. D’une culture de pouvoir et de centralisation de l’information, les relationnistes doivent adopter des façons de faire transparentes et authentiques telles que le suggèrent la logique d’usage et de gestion des relations (Ledingham et Bruning, 2003, 1998) dans les médias sociaux. Comme le mentionne Blanc (2011), les relationnistes savent y faire en matière de gestion de contenus et de relations. L’opportunité offerte par les nouveaux modes et outils interactifs de communication Web 2.0 de dépasser les Arts de faire traditionnels dans une perspective d’échange et de réciprocité, et ce, dans le but d’instaurer de vrais dialogues (Millette, 2012) avec les différents publics, représente un défi important à relever dans les pratiques professionnelles quotidiennes des relationnistes. Bérubé (2012) a rappelé les avantages d’appliquer ces nouvelles pratiques inspirées de la théorie de l’excellence de Grunig et al. (2002) reconnue internationalement.
Conclusion
Les enjeux professionnels et organisationnels soulevés par la deuxième décennie du Web, le Web 2.0 et les médias sociaux, ont fait l’objet d’un questionnement important. L’appropriation et l’intégration de ces nouveaux modes et outils de communication induisent de nouvelles façons de faire dans les pratiques quotidiennes des relationnistes. De nouveaux modèles d’affaires, voire de communication, se développent. Le transfert d’une culture organisationnelle hiérarchique et unidirectionnelle vers une culture plus systémique, globale et bidirectionnelle, impose de nouvelles façons de faire dans la gestion des relations avec les publics dont nous n’avons pas terminé d’en mesurer les enjeux.
Chose certaine, nous avons vu que tout comme le développement de sites Web à la fin du siècle dernier, à l’aube de cette nouvelle ère de la communication en ce début de XXIe siècle, l’heure n’est plus à se demander si les organisations doivent intégrer les médias sociaux, mais plutôt comment. Pour ce faire, au-delà des stratégies communicationnelles, il s’avère nécessaire que des normes régissent ces pratiques au même titre que se sont développés les codes déontologiques au cours de l’évolution de la profession avec les médias traditionnels.
Bibliographie
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[1] Terme lancé par Tim O’Reilly dans une conférence en 2004 et publié sur le site Web de O’Reilly media, le 30 septembre 2005, http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html , consulté le 27 septembre 2012.
[3] Expression consacrée par Michel de Certeau en 1980 lors de la première parution de son livre intitulé L’invention au quotidien. 1. Arts de faire, à Paris, aux Éditions Gallimard, dans la Collection Folio.
[4] L’expression « parties prenantes » Stakeholders utilisé en marketing a été développée par Freeman en 1984. En parallèle Noelle-Neumann développe en 1984, la théorie de la spirale du silence, démontrant que plusieurs catégories de publics ne sont pas toujours incluses dans les Stakeholders, notamment les publics silencieux. Elle a bien cerné l’importance de tenir compte des publics qui ne s’expriment pas, notamment lorsqu’ils sentent que leur opinion n’est pas conforme aux normes ou aux discours dominants. (Paraphrasé par Maisonneuve, 2010, p. 17).
[5] Avec la publication en 2009 de la norme ISO 31000 intitulée « Management du risque – Principes et lignes directrices », l’Organisation internationale de normalisation établissait les bases d’une approche modèle en gestion des risques. La norme ISO 31000, adoptée le 15 novembre 2009 par l’Organisation internationale de normalisation, a également été adoptée sans modifications par l’Association canadienne de normalisation et publiée en janvier 2010 sous le numéro CAN/CSA-ISO 31000-10. (Bérubé, 2012, p. 35).
[6] Alain Lavigne, professeur au Département d’information et de communication de l’Université Laval, a présenté cette conférence Médias ou réseaux dans le cadre du Webinaire organisé par l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques, le 11 mai 2012. La présentation s’est déroulée en salle et en ligne.
[7] Charest, Gauthier et Grenon, « Comment intégrer les médias sociaux dans nos stratégies de communication? » Actes de colloque Médias 011, Y a-t-il une richesse des réseaux? Université Paul-Cézanne, 8 et 9 décembre 2011, disponible sur le site http://www.medias011.univ-cezanne.fr/index.php?id=7211
[9] L’expression [web sémantique] a été inventée par Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web et directeur du World Wide Web Consortium (« W3C »), qui supervise le développement des technologies communes du Web Sémantique. Il définit le Web sémantique comme « un web de données qui peuvent être traitées directement et indirectement par des machines pour aider leurs utilisateurs à créer de nouvelles connaissances. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_sémantique
[10] L’« earned media » ou le « marketing gagné » désigne les impressions créées par les internautes qui ont partagé du contenu sur les médias sociaux (Bladier, 2012, p. 167).
[11] Le marketing payant (bought), est celui où la marque paie pour participer, par exemple la publicité sur Facebook …] Le marketing « propriétaire » (owned) est celui qui appartient à la marque : site, compte Twitter, profil LinkedIn… C’est la base de la relation long terme qui se développe en fonction de son investissement […] Bladier, 2012, p. 103.