Observatoire des médias sociaux en relations publiques

Fiches de lecture

Usages des NTIC: les approches de la diffusion, de l’innovation et de l’appropriation (2e partie)

Millerand, Florence. 1998. Usages des NTIC: les approches de la diffusion, de l’innovation et de l’appropriation (2e partie). Commposite. 40 p.

Résumé de l’auteur

Les recherches réalisées dans le domaine des usages des médias et des technologies se caractérisent par une grande variété, à la fois dans les objets de recherches privilégiés, les problématiques développées et dans les positions théoriques qui les fondent. L’auteur livre dans ce texte une synthèse présentant trois approches de l’étude des usages, à savoir l’approche de la diffusion, l’approche de l’innovation et l’approche de l’appropriation. Pour chacune d’entre elles sont précisés : le contexte intellectuel qui les a fait émerger, les postulats sur lesquels elles sont basées, et le paradigme dans lequel elles s’inscrivent. Le modèle de l’usager à l’oeuvre ainsi que les différentes acceptations de la notion d’usage sont également dégagés de façon à mettre à jour les divers clivages théoriques et méthodologiques existant entre ces approches.

Fiche de lecture réalisée par Sophie Chavanel

Mots-clés


usages, usagers, médias, technologies, diffusion, innovation, appropriation, théories, modèles.

Mise en contexte


Rédigé dans le cadre de ses études doctorales, ce texte de Millerand qui comporte deux parties publiées séparément, présente sous forme synthétique, les grandes écoles de pensée des études de la sociologie des usages et leurs principaux débats. Dans la deuxième partie qui fait l’objet de la présente fiche de lecture, Millerand présente les principales notions de l’approche de l’appropriation : usages prescrits et réels, déterminisme technique et social.

Revue de littérature et cadre théorique


Millerand s’inspire principalement des écrits de Chambat (1994), sur l’évolution des problématiques des usages des technologies de l’information et des communications (TIC). Parmi les autres auteurs centraux du texte, Michel de Certeau (1990), précurseur de l’approche de l’appropriation, qui s’intéresse aux pratiques quotidiennes et tente de comprendre l’écart entre l’approche dominante et ce que s’approprient effectivement les usagers. Sont mentionnés également comme auteurs piliers : Proulx (1994; 1995), Perriault (1989), Mallein et Toussaint (1994) et Jouet (1993), pour n’en nommer que quelques-uns.

Démarche méthodologique


La démarche méthodologique favorisée par Millerand est une recension des écrits qui fait état des différentes théories et méthodologies utilisées dans le domaine de la sociologie des usages. Dans une démarche en trois temps, l’auteur structure son texte en se basant sur le canevas de Chambat (1994) qui distingue trois approches principales de la sociologie des usages : la diffusion, l’innovation (faisant l’objet de la première partie) et l’appropriation qui fait l’objet de la deuxième partie du texte sur laquelle porte la présente fiche de lecture.

Résultats


En se basant sur une recension des écrits, l’auteur propose les principales définitions conceptuelles centrales de l’approche de l’appropriation et ses clivages avec les approches de la diffusion et de l’innovation. Elle s’attarde notamment sur les notions d’écart entre les usages prescrits et effectifs, les significations d’usages et aux constructions identitaires et d’imaginaire technique.

Selon les observations de Millerand, l’approche de l’appropriation se distingue de l’approche de la diffusion et de l’innovation sur l’objet d’analyse privilégié. En effet, alors que l’approche de la diffusion s’intéresse au processus diffusion de nouvelles technologies à travers un taux d’adoption et que l’approche de l’innovation s’intéresse au moment de la conception d’objets techniques, l’approche de l’appropriation s’intéresse à la phase de mise en usage dans la vie sociale et renvoie à l’analyse de la formation de ces usages, du point de vue de l’usager.

Sur le plan méthodologique, l’approche de l’appropriation s’intéresse au statut de l’objet technique selon ce qu’il représente pour l’usager, à comment il vient s’inscrire dans un environnement spécifique et parmi des pratiques préexistantes, dans le contexte de la vie quotidienne, indissociable des tendances sociales de fond. Pour se faire, elle, privilégie les approches méthodologiques qualitatives dont l’observation participante et l’entretien en profondeur.

Une des principales préoccupations de recherche soulevées par l’approche de l’appropriation, souligne Millerand, consiste à analyser comment se constituent des usages différenciés selon les groupes sociaux, notamment à travers la signification de ces usages par les usagers eux-mêmes. Elle souligne également que les travaux s’organisent en général autour de questionnements centrés sur le rôle des pratiques antérieures, les phénomènes de construction identitaire ainsi que la socialisation de la technique.

Usages prescrits et usages réels

Une des préoccupations principale de l’approche de l’appropriation est l’écart entre les usages prévus par ses créateurs et des usages effectifs dans la vie de tous les jours. Millerand donne l’exemple du magnétoscope conçu initialement comme outil de création vidéo, également utilisé comme périphérique pour visionner des cassettes vidéo.

Cette référence à l’écart entre usages prescrits et réels, est en général attribuée à Michel de Certeau (1989) qui pose l’existence de deux mondes, celui de la production et celui de la consommation qui se déroule au quotidien comme une activité de bricolage, de création, à partir de produits imposés, aux travers de ruses et d’opérations de braconnage. De Certeau propose d’ailleurs quatre catégories applicables aux pratiques quotidiennes : réaliser, s’approprier, s’inscrire dans des relations et se situer dans le temps.

Millerand mentionne également les travaux de Perriault (1989) qui dans la même veine avance que face aux modes d’emplois prescrits par les inventeurs des technologies, les premiers utilisateurs tendent à proposer des variantes et des détournements. Ces déviances correspondent à des intentions et il est possible d’observer une convergence des usages qui permet de supposer une certaine logique.

Les significations d’usages

Millerand relève également que plusieurs recherches relevant de la sociologie des usages se penchent sur la signification des usages, en s’intéressant aux représentations et aux valeurs qui s’investissent dans l’usage d’une technique ou d’un objet. Elle mentionne notamment l’apport des travaux de Mallein et Toussaint (1994) sur le processus d’intégration des technologies de communication dans la sphère privée et familiale et leur grille d’analyse sociologique de l’usage des nouvelles technologies de l’information et des communications. Mallein et Toussaint distinguent d’ailleurs deux grands types de rationalité derrière la problématisation des usages : une rationalité sociotechnique qui considère que le nouveau dispositif doit trouver sa place dans un ensemble social, culturel, technique, organisationnel, familial et relationnel préexistant, et une rationalité techniciste qui considère qu’on fait table rase en désignant aux usagers la place qu’ils vont occuper, les pratiques nouvelles qu’ils vont développer et les représentations idéales vers lesquelles ils doivent tendre. De ces deux visions antagonistes découlent une série de concepts qui opposent :

La banalisation versus l’idéalisation : D’un côté, la banalisation peut se produire soit par la greffe d’un nouvel objet sur un ancien ou par la valorisation de son utilité pratique. De l’autre, dans la perspective de l’idéalisation, l’acquisition de l’objet est perçue comme une distinction sociale et la technique comme progrès démocratique. Dans les faits, le processus de banalisation implique la pérennité de l’adoption d’une innovation alors que l’idéalisation permet en général de rallier les usagers au tout début, mais l’effet est de courte durée et les déceptions subséquentes peuvent conduire à l’abandon de la technologie.

L’hybridation versus la substitution : Le phénomène d’hybridation envisage l’innovation de façon plus modeste qui se greffe ou s’ajoute aux outils déjà en place tandis que la substitution marque une coupure.

L’évolution sociale versus la révolution sociale : Dans le même ordre d’idée, l’innovation s’inscrit en phase avec une évolution sociale d’ensemble, par exemple, le magnétoscope qui s’inscrit dans un contexte d’individualisation des modes de vie. À l’opposé, dans l’optique de la révolution sociale, l’innovation s’inscrit en décalage ou en confrontation avec les modèles sociaux en place.

L’identité active versus passive : L’identité active fait référence à la possibilité pour l’usager de s’inventer une identité ou d’affirmer la sienne à travers l’usage, alors que l’identité passive réfère à l’usage idéal, l’usage prévu.

Millerand souligne que cette grille a prouvé son utilité pour évaluer le succès ou l’échec d’une innovation et même de formuler certaines prédictions, mais son plus grand intérêt réside dans les différentes dimensions à prendre en compte dans l’étude des dynamiques d’appropriation.

Discussion : pistes de réflexion


Une des plus grandes contributions du champ de la sociologie des usages est de nous mettre en garde contre les discours prophétiques de déterminisme exclusivement social ou technique, des innovations.

Si certains critiques ont reproché à l’approche de l’appropriation de se concentrer uniquement sur les usages réels, sans s’intéresser à la technique et aux stratégies de diffusion, nous observons plutôt dans les travaux qui relèvent de cette approche, une tendance vers une co-construction de sens, entre les usagers et les producteurs, entre les stratégies et les tactiques.