L’explosion de la communication
Breton, Philippe et Serge Proulx. 2012. L’explosion de la communication. Introduction aux théories et aux pratiques de la communication. Chapitre 11: Usages des technologies de l’information et des communications. La Découverte. 384 p.
Résumé de l’auteur
S’appuyant sur une histoire des techniques de communication depuis la préhistoire et l’Antiquité jusqu’aux outils les plus récents, ce livre fournit les points de repères essentiels pour comprendre et décrypter la culture de la communication qui marque le nouveau siècle. De façon claire et synthétique, avec de nombreux exemples, ses auteurs font le point des grands débats sur le sujet, proposent une cartographie des grandes théories dans le champ de la communication et analysent les compétences communicationnelles nécessaires dans le monde d’aujourd’hui. Depuis sa première publication, cet ouvrage est devenu l’équivalent d’un manuel pour les étudiants et les professionnels de la communication, mais aussi pour tous ceux qui souhaitent disposer d’une vision d’ensemble des enjeux liés à la communication sous ses différents aspects : nouvelles technologies, médias, publicité. Ses rééditions successives en France et au Québec, ainsi que ses traductions dans de nombreuses langues étrangères, en ont fait un ouvrage de référence incontournable. Cette nouvelle édition prend en compte les évolutions récentes survenues dans le monde de la communication, l’irruption des réseaux sociaux et des nouveaux usages du Web, le retour de la propagande et de la manipulation, les nouvelles idéologies, mais aussi les grandes avancées théoriques permettant de mieux comprendre ces mutations.
Fiche de lecture réalisée par Sophie Chavanel
Mots-clés
Communication, nouvelles technologies de l’information et de communication, appropriation, diffusion, innovation.
Mise en contexte
La première patrie du livre est consacrée aux pratiques et aux techniques de la communication. La deuxième partie fait le point, à la fois de façon historique et synthétique, sur l’évolution des grandes théories de ce champs d’étude, allant des travaux des précurseurs des sciences de la communication jusqu’aux recherches actuelles ou en cours. La troisième partie adopte une démarche similaire mais se penche exclusivement sur les recherches dans les domaines des usages et de la réception. Enfin, la quatrième partie aborde la question des enjeux de communication. La présente fiche de lecture porte tout particulièrement sur le chapitre 11 qui s’inscrit dans la troisième partie de l’ouvrage et porte sur les usages des nouvelles technologies de l’information et des communications (TIC). Dans ce chapitre, les auteurs cherchent à déterminer quels sont les cadres théoriques et stratégies méthodologiques pour décrire, analyser et expliquer les usages effectifs des TIC. Ils cherchent à articuler la façon de saisir l’articulation entre technologie et société, sans tomber dans le déterminisme technologique ou sociale, en adoptant une position plus nuancée. Le chapitre est divisé de la façon suivante : Comment saisir les rapports entre technologies et société? Clarification conceptuelle de la notion d’usage. Continuum de définitions de la notion d’usage. De Certeau précurseur : l’usage comme invention du quotidien. La diffusion : l’adoption des artefacts techniques L’innovation : la conception des objets techniques. L’appropriation d’une technologie : La construction sociale des usages.
Revue de littérature et cadre théorique
Dans une démarche désormais classique chez les auteurs qui s’intéressent à la sociologie des usages, les auteurs effectuent une revue synthétique de la littérature scientifique en fonction de trois points d’entrée sur les principaux travaux sur les usages : diffusion, innovation et appropriation.
En ce qui concerne les travaux qui s’inscrivent dans une approche diffusionniste, approche qui s’intéresse à la façon dont les innovations sont diffusées à travers un taux d’adoption, les auteurs mentionnent d’abord les travaux précurseurs de Ryan et Gross (1943), menés bien avant la prolifération des NTIC, qui portaient sur la diffusion d’une nouvelle graine de semence pour le maïs en région rurale. En se demandant comme l’innovation se propageait, les auteurs ont identifiés que certains fermiers innovateurs ayant des caractéristiques communes (meilleur revenu, bon niveau d’éducation, voyageurs) avaient tendance à adopter les innovations en premier. Il s’agit, selon les auteurs, des travaux qui ont inspiré Rogers (1962, 1971, 1983, 1995) et dont l’opérationnalisation conceptuelle a marqué l’approche de la diffusion notamment avec son modèle d’adoption comportant quatre variables : les innovations, la communication, la durée, l’ensemble social et sa typologie la plus connue sur les types d’adoptants allant du retardataire au précoce.
Pour ce qui est des travaux s’inscrivant dans l’approche de l’innovation qui s’intéresse à la phase de création des innovations, parmi les auteurs cités, Callon et Latour (1986) qui se sont notamment intéressés à faire le récit d’échecs de projets d’innovation et d’essayer d’en comprendre les cause. Parmi les autres auteurs fondateurs de cette approche, Akrich (1990, 1993, 1998) qui distingue entre autres, quatre formes d’intervention directe des utilisateurs sur les objets techniques : le déplacement, l’adaptation, l’extension et le détournement.
Enfin, à ce qui a trait à l’approche de l’appropriation, les auteurs attribuent à Michel de Certeau (1989), le statut d’inspirateur théorique de l’approche de l’appropriation. Parmi les autres auteurs de l’appropriation mentionnés, Chambat (1994) qui s’intéresse à l’évolution des problématiques d’usages des NTIC, Mallein et Toussaint (1994) qui s’intéressent à l’intégration sociale des NTIC, Jauréguiberry (1997) avec ses travaux qui portent sur les significations d’usage, Toussaint (1993) et sa typologie d’intégration de l’objet technique et Jouet (1993) et son exercice de définition du concept d’usage.
Démarche méthodologique
Il s’agit d’une revue synthétique de la littérature dans laquelle les auteurs cherchent à présenter les travaux de recherche et les façons de réfléchir les rapports entre technologies et société.
Résultats
La force de ce texte est de s’intéresser à la façon de saisir l’impact de la technique sur la société et inversement, comment prendre en compte l’action du contexte social sur le développement d’innovations techniques.
Les auteurs font remarquer qu’il y a un double écueil adopté plus ou moins consciemment par de nombreux acteurs sociaux dans leur discours sur les NTIC: le déterminisme technique et le déterminisme social. Selon le premier, les innovations technologiques ont force de changement sur la société alors que selon le deuxième, l’explication du changement fait état d’un rapport de forces entre les acteurs sociaux au moment de l’invention. Les auteurs avancent que la posture qui apparaît la plus pertinente pour éviter ce double écueil est d’observer le plus finement possible l’action effective de la technique, à travers une description précise des usages des objets techniques, donc, d’arrêter de discourir de façon abstraite sur les conséquences possibles des NTIC et d’aller voir ce que les gens font réellement avec ces technologies.
Au centre de ce champ d’étude se trouve la notion d’usage, une notion complexe qui suscite de nombreuses définitions dans la littérature scientifique. Selon le contexte d’analyse et le cadre théorique, l’usage, disent les auteurs, renvoie à un continuum de définitions allant du pôle de l’adoption (achat, consommation), en passant par notion d’utilisation technique, jusqu’au pôle de l’appropriation.
L’idée d’appropriation, notent les auteurs, est une des notions les plus utilisées en regard des problématiques sociales relatives aux usages des technologies. Toutefois, observent-ils, on retrouve rarement dans la littérature, une définition précise du terme. Un état de fait qui tient sans doute du fait que le terme renvoie à une approche, une orientation ou un type de travaux, plutôt qu’une démarche formelle s’appuyant sur un ensemble de définitions conceptualisées stabilisées. L’appropriation renvoie donc plutôt au large éventail de travaux notamment, tous ceux qui portent sur la signification des usages.
Ceci dit, dans un effort de conceptualisation ce qu’est une appropriation effective, les auteurs proposent les dimensions suivantes : D’abord, l’usager doit démontrer une maîtrise minimale (technique et sociale) de l’objet technique. Ensuite, cette maîtrise doit s’intégrer de façon significative dans la vie quotidienne de l’usager (au travail ou hors travail). Aussi, l’appropriation doit ouvrir vers des possibilités de détournements, de contournements, de réinventions ou même de participation directe des usagers à la conception des innovations. Dans cette perspective, l’usage s’inscrit dans une épaisseur sociale. Finalement, l’usager doit être représenté, en d’autres mots, l’usager exerce un contrôle (même relatif) sur les porte-parole qui chercheront à le représenter auprès de l’État ou au sein du marché de l’innovation technique. Toujours selon Breton et Proulx, les différents travaux sur la sociologie des usages contribuent généralement à documenter l’une ou l’autre de ces dimensions.
Discussion : pistes de réflexion
La revue de la littérature synthétique proposée ici fat état des principales façons d’approcher les usages des nouvelles technologies de l’information et des communications. Nous trouvons particulièrement éclairante la mise en garde des auteurs contre les discours à saveurs de déterminisme uniquement technique ou social et le fait qu’ils invitent plutôt à adopter une position plus nuancée en s’intéressant notamment aux usages effectifs et à la signification d’usages, du point de vue des usagers eux-mêmes, démarche qui est le propre de l’approche de l’appropriation.