Cyberespace et communautique

Harvey, Pierre-Léonard. 1995. Cyberespace et communautique. Presses de l’Université Laval. P. 239.

Résumé de l’auteur

A l’inverse de nombreux ouvrages mettant l’accent sur l’aspect technologique de l’inforoute, Cyberespace et communautique : appropriation – réseaux – groupes virtuels analyse les réseaux de télécommunication dans leur environnement humain, physique et social. Allant à contre-courant de la problématique centrée sur l’offre et les stratégies d’acteurs, cet exposé aborde la question sous l’angle de l’appropriation sociale des objets techniques de communication. Pierre-Léonard Harvey examine tour à tour le développement et le mode d’insertion sociale des nouvelles techniques d’information et de communication (NTIC). Il soutient que leur adoption dépend moins de leur mode de diffusion et de leurs caractéristiques fonctionnelles ou techniques que de la façon dont les gens réinventent et s’approprient ces techniques. Véritable appel à une concertation transdisciplinaire, ce livre réhabilite les notions de demande et de besoin sociaux qui semblaient avoir perdu de leur légitimité scientifique depuis quelques années. Enfin, il met en évidence la permanence des structures sociales tout en montrant de quelle manière l’opulence communicationnelle créée par les inforoutes est susceptible de modifier les échanges à l’intérieur des communautés existantes. Cet ouvrage intéressera tous ceux qui, préoccupés par l’édification d’une société de communication dont l’humain est le centre, cherchent des outils pour comprendre la portée, l’évolution et la maîtrise du développement technique et de ses usages.

Fiche de lecture réalisée par Sophie Chavanel

Mots-clés

Communication, nouvelles technologies de l’information et de communication, usages, interactivité, besoins en information et communication.

Mise en contexte

Dans cet ouvrage phare Harvey propose une alternative aux deux pôles dans lesquelles s’inscrivent les recherches en communication : la communication face-à-face et la communication de masse, en explorant l’émergence d’un troisième pôle, celui de la communautique définit comme « un espace public caractérisé par une communication entre groupes, c’est-à-dire, entre les membres et leur groupe, entre les membres eux-mêmes et entre les groupes eux-mêmes. Ces groupes possèdent des intérêts communs ». Pour ce faire, il se penche principalement sur la façon dont les usagers s’approprient les nouvelles technologies en s’intéressant tout particulièrement aux besoins en information et communication. Il présente une approche théorique novatrice en cherchant à répondre à des questions complexes telles que : est-ce que la mutation de notre société et si importante? Quel rôle jouent les technologies d’information et de communication dans cette mutation?

Revue de littérature et cadre théorique

Harvey inscrit sa démarche multidisciplinaire dans trois ancrages théoriques principaux: la théorie des groupes en psychologie sociale, la théorie de l’appropriation en sociologie des usages et la théorie des besoins en psychologie et en économie.

D’abord, dans l’approche des groupes en psychologie sociale, Harvey relève les recherches qui s’intéressent à la structure des groupes et à leur fonctionnement depuis les travaux d’Homans (1950) et de Thibaut et Kelley (1960), selon qui l’utilisation d’un média interactif et le désir d’entrer en interaction avec les autres peuvent être étudiés à partir des résultats ou des produits de l’échange (coûts encourus ou en efforts et avantages retirés ou utilité).

Ensuite, dans l’approche de l’appropriation, Harvey mentionne notamment les travaux de Proulx (1988) et Boullier (1986) qui définissent l’appropriation comme l’aboutissement des usages en pratiques communicationnelles et envisagent le concept de façon plus générique que la seule idée de propriété d’un bien. Dans ce sens, l’appropriation représente « comment, dans différents contextes, les usagers réinventent les usages technologiques, restructurent l’espace-temps social, franchissent la distance, transgressent les barrières géographiques en manifestant des relations privilégiées avec la réalité de ces nouveaux espaces ».

Enfin, dans la théorie des besoins, traditionnellement appliquée aux études des marchés, Harvey propose une solide revue de la littérature de différents modèles théoriques qui ont cherché à opérationnaliser les besoins psychosociaux des individus depuis Maslow (1943) (physiologique, sécurité, appartenance, estime, actualisation), en passant par Bancal (1974) (psychologique, techno-économique, sociétal).

Démarche méthodologique

En plus d’une revue de la littérature des travaux de recherche qui s’inscrivent dans les trois approches que nous avons mentionnées précédemment, Harvey tire ses observations d’une étude de cas, celle de la naissance et du déclin du vidéotex Alex de Bell Canada.

Résultats et discussion

Selon Harvey, l’appropriation des médias interactifs est largement basée sur les besoins psychosociaux des usagers, plus spécifiquement les besoins en information et de communication des usagers qui souvent se réapproprient les outils de manière toute autre que celle qui avait été prévue dès le départ. Il cite notammentle célèbre communicologue James D. Halloran, récipiendaire du prix Marshall McLuhan 1991, selon qui la première chose à faire dans toute étude qui porte sur les nouvelles technologies est d’identifier les besoins fondamentaux en information et communication des individus. S’il constate que ces modèles n’arrivent pas complètement à expliquer la complexité des besoins humains d’une part, et des nouvelles applications technologiques d’autre part, il note toutefois une constante : l’homme a besoin d’information pour prendre des décisions et entre autre, réduire son incertitude. À ce besoin en information, avance Harvey, se greffe le besoin fondamental des individus à communiquer. Dans la terminologie récente favorisée par les tenants de l’approche de l’appropriation, on parle plutôt de besoin d’interactivité.

Harvey propose également un schéma des besoins psychosociaux basé sur la hiérarchie de Maslow, qui vont de la survie vers la qualité de vie. Harvey identifie neuf besoins principaux  qu’il divise en trois groupes. D’abord les besoins biologiques (physiologiques), ensuite professionnels et sociaux (d’appartenance, de prestige, de pouvoir) et enfin les besoins intellectuels (de plaisir, d’exploration, d’actualisation, d’esthétisme et absolu). Ce tableau inclut les grandes tendances qui mettent en évidence « une accélération de l’évolution sociale et économique de notre société et des besoins accrus de communiquer sous de nouvelles formes à travers de nouvelles technologies interactives » indique Harvey d’après Richaudeau et al. (1974).

Discussion : pistes de réflexion

En se penchant sur les besoins en information et communication et en identifiant tout particulièrement le besoin d’interactivité propre à la société de l’information qui caractérise, selon Harvey, la période actuelle, l’auteur a couché les bases d’une réflexion théorique des médias sociaux bien avant leur temps qui permet de réfléchir les usages des NTIC dans leur complexité et leur nuances, du point de vue des usagers.