Big Data et visibilité en ligne : Un enjeu pluridisciplinaire de l’économie numérique
Alcantara, Christophe, Charest, Francine et Serge Agostinelli Dir. (2018). Big Data et visibilité en ligne Un enjeu pluridisciplinaire de l’économie numérique. Paris : Presses des Mines.
Le colloque scientifique international « Big Data et visibilité en ligne, un enjeu pluridisciplinaire de l’économie numérique » proposait d’interroger en novembre 2017 le concept de Big Data à travers des entrées multiples : informatique, juridique, gestionnaire et info-com. Le Big Data est caractérisé par dans la littérature par quatre « V » (Volumétrie, Vélocité, Variété et Valeur). La visibilité des entreprises comme celle des internautes dépend de la maîtrise de cet enjeu car la visibilité est le résultat de l’application de modèles, de choix stratégiques et de tactiques opératoires propres au web. Le résultat affecte les individus et les structures. La visibilité en ligne concerne alors différents domaines académiques et professionnels. Elle interroge particulièrement les algorithmes qui opèrent lors de requêtes sur le web mais aussi les outils qui autorisent les traitements qualitatifs et quantitatifs de données. Etant donné que toute activité numérique génère des traces, c’est une autre piste possible d’investigation pour comprendre cet enjeu. Les communications présentées dans cet ouvrage sont rassemblées autour de quatre axes scientifiques différents et complémentaires. La lecture peut alors se faire de façon thématique. Les travaux publiés reposent pour la plupart sur des études empiriques menées sur des terrains très diversifiés.
En guise d’ouverture, Agostinelli interroge le traitement des données massives et il montre que les modèles tant théoriques que méthodologiques sont encore à construire pour bien appréhender le Big Data. Cela est d’autant plus pertinent que selon lui, les outils façonnent notre façon de percevoir le monde. Il propose alors plusieurs pistes de définition et il souligne un changement de paradigme à l’œuvre où l’on passe d’un déterminisme expérimental établi par des lois scientifiques à un déterminisme empirique qui repose sur des probabilités. Cette ouverture se termine par le zoom d’un professionnel du secteur, Franck Pfliger qui propose un éclairage sur les pratiques actuelles et les technologies propres au concept de Big Data.
Le premier axe, intitulé application, stockage et exploitation des données rassemble six communications. Paquelin propose une étude de cas réflexive dans le champ de l’enseignement supérieur. Il interroge le sens et les modalités de la mobilisation des données massives à des fins pédagogiques pour sélectionner et pérenniser le parcours des étudiants. Elisabeth et Sébastien présentent une étude menée dans le champ médical. Leur contribution interroge les moyens par lesquels l’accès à la masse de données médicales produites peut influencer les pratiques de la chaîne des acteurs du secteur. Henry et Stattner, à partir de la diffusion de messages sur Twitter, proposent une méthode pour extraire des données sur la polarité et la subjectivité des messages ainsi que sur la personnalité des utilisateurs. Capelle, Lehmans et Liquette interrogent de leur côté les promesses de l’open data dans le champ de l’éducation à partir d’une recherche action menée dans le milieu académique et ils soulignent un besoin de médiation sur les données massives et ouvertes dans le but de développer leur réutilisation, notamment en contexte scolaire. Metge et Lamic posent la question du learning analytics dans le cadre spécifique de l’université des Antilles. Ils appréhendent l’intégration et l’utilisation de ces derniers comme une solution pertinente pour lutter contre l’exode des étudiants antillais vers la métropole. Enfin, Quillaud, Saglietto (et al.) interrogent le terrain de l’industrie logistique pour montrer que la production de données massives et leur exploitation est un bouleversement radical, une disruption, des habitudes et pratiques professionnelles de ce secteur d’activité.
Le deuxième axe, appelé les enjeux juridiques de la visibilité en ligne et du Big Data, est constitué de cinq contributions de juristes français et canadiens. Dans un premier temps, Moumouni se positionne dans un cadre international et macrosocial. Il propose une focale sur les droits européen, français, américain et canadien afin de clarifier le concept de Big Data et de souligner les enjeux géopolitiques qui se posent à la gouvernance mondiale du Big Data. En second lieu, Moritz pose la question d’un ré-équilibrage souhaitable entre le consommateur et les acteurs du web en montrant que les mécanismes de certification prévus par l’article 42 du règlement général sur la protection des données peuvent constituer des solutions viables. De façon complémentaire, Eynard part du constat de la marchandisation des données personnelles pour montrer qu’il est nécessaire de rechercher un mode opératoire de régulation « à même de sauvegarder les droits et libertés considérés comme fondamentaux ». Lavenue met en lumière un processus de colonisation juridique. Pour lui, le Big Data est un avatar du lobby exercé par les GAFAM pour marchandiser les données personnelles. Enfin cet axe se termine par la contribution de Mouron qui analyse les traces numériques post-mortem à partir de la loi du 07 octobre 2016 pour une république numérique. Il montre que ce dispositif contribue au « développement d’un droit général sur l’identité numérique ».
Le troisième axe relève de la visibilité des individus et des organisations. Il est constitué de cinq contributions qui prennent toutes appui sur des études empiriques. Hardy interroge la part visible et invisible en ligne des individus en Chine. A partir d’un cadre théorique qui se réfère dans une large mesure aux travaux de Cardon, l’auteur dénonce l’influence de la visibilité en ligne dans un pays, a minima, dirigiste où les classements de visibilité proposés par les algorithmes ont un impact réel sur la perception des individus par le pouvoir. Doran et Lacasse traitent de leur côté la question du Big Data dans la perspective de placer la donnée au cœur de la gouvernance à venir des universités à partir du concept de campus universitaire intelligent (smart campus). Abbassi présente une étude réalisée au sein d’une organisation marchande qui cherche à définir et organiser l’écosystème web d’une entreprise, objet protéiforme dont le Big Data est l’une des composantes. Creton et Kogan traitent la notion de visibilité dans le monde des arts à partir d’un corpus de musiciens de la scène nantaise qui investissent le réseau social Facebook et utilisent des outils issus de traitements de données massives pour optimiser leur visibilité en ligne. Enfin dans le prolongement des interrogations qui portent sur la visibilité en ligne, Bendinelli et Riccio réalisent une étude de terrain sur la relation entre marques et consommateurs via les réseaux sociaux.
Le quatrième et dernier axe scientifique s’intitule influence, mesure d’exposition et méthode d’évaluation de la visibilité en ligne. La contribution de Lo Monaco, Poplimont et Metge est d’ordre méthodologique. Ils prennent appui sur la théorie des représentations sociales pour produire une intelligibilité des données obtenues par les outils de Big Data. Pascal, Utecht et Alcantara traitent de la notion d’influence en menant une étude fournie sur les « auteurs chevronnés » de Tripadvisor. La quantité d’information publiées sur une telle plate-forme nécessite une infomédiation et ils cherchent à apprécier l’impact de notoriété, de crédibilité, voire d’autorité de tels contributeurs en ligne. Enfin, Marrel et Labatut complètent ce travail d’analyse de la visibilité en ligne et de l’influence à travers la communication politique numérique de la maire de Paris en cherchant à mesurer l’écho webmédiatique de celle-ci sur un corpus singulier.
Christophe Alcantara, Université Toulouse 1 Capitole (France)
Francine Charest, Université Laval de Québec (Canada)
Serge Agostinelli, Université des Antilles (France)