Petit préambule aux conférences du Webinaire 2016
1 – Résumé de la conférence
L’interactivité grandissante des objets connectés et la rapidité de l’évolution des technologies impliquent de nouveaux usages qui participent à réinventer des représentations de soi. Les acteurs sociaux investissent les réseaux socionumériques (Coutant, Stenger, 2011) pour entretenir des liens en ligne et une nouvelle forme de sociabilité a lieu sur les réseaux sociaux (Casilli, 2010). La notion d’e-réputation est un concept polymorphe, multiple, interdisciplinaire, un enjeu de société (Alcantara, 2015). L’e-réputation est fondée sur la traçabilité de l’information car l’information circule et laisse des traces (Merzeau, 2009) : requête via les moteurs de recherche, téléchargement, partage, achats en ligne, autant d’actions qui forment une « collection de traces » volontaires ou induites. Tandis que les techniques de référencement web évoluent avec une rapidité croissante, les nouvelles logiques de communication sont
liées aux critères mis en avant pour classer et qualifier les contenus web. Pour étudier l’e-réputation d’une entreprise, ce papier se propose d’identifier la réalité de l’écosystème web de l’entreprise CLS (Collecte Localisation Satellites) qui opère dans le secteur du spatial, avec plus de cinq cents collaborateurs dans le monde. Dans ce cadre, il s’agit d’analyser les circuits traditionnels d’information et de communication utilisés par l’entreprise et les implications de la mise en place d’une stratégie digitale pour créer un écosystème web réussi. La démarche réflexive est la méthode d’investigation privilégiée pour produire un état des représentations de l’écosystème web de l’entreprise. Ce travail va permettre à la doctorante-webmaster d’interroger ses propres frontières symboliques et celles de l’entreprise par sa dimension numérique.
2 – Quelques questions sur les sujets abordés
Les questions suivantes ont été posées directement à Mme Abbassi et voici la retranscription de ses réponses :
Pouvez-vous expliquer le polymorphisme de l’e-réputation?
G. ABBASSI : «On peut définir l’e-réputation comme un ensemble de processus qui peuvent être contradictoires et qui organisent le web en un espace de tension du fait de la simultanéité des logiques marchandes et d’indexation de données personnelles. L’e-réputation s’inscrit dans un processus de promotion qui pousse tout les acteurs à tirer avantage de la viralité qu’une information produit. Le besoin de validation par les autres et le regard des autres sur soi impliquent cette viralité quand les internautes commentent, partagent et postent des informations. Cette situation incite à la mise en place de stratégies identitaires pour éviter une perte de contrôle totale de son identité numérique. L’e-réputation est de ce fait un « objet » constamment sous tension, qui évolue en fonction des technologies utilisées, des stratégies adoptées par les utilisateurs et des processus d’indexation de contenus. Du point de vue juridique, il est important de noter que les visions européenne et américaine proposent deux points de vue radicalement opposés : la réputation est « un droit fondamental » en Europe et le droit à la vie privée doit être protégé par les instances publiques alors que dans le droit américain, la réputation a un caractère contractuel. Cela implique deux points de vue divergents sur la liberté d’expression et la protection de la vie privée sur le web qui oppose droit à l’oubli quand l’Europe privilégie le droit de la protection des données personnelles et la garantie du droit à l’information aux Etats-Unis condition nécessaire d’une relation contractuelle basée sur la confiance, et donc la disponibilité des informations à caractère personnelle. De plus le rôle des plateformes techniques est envisagé différemment, quand en droit américain, c’est l’usager qui est responsable des informations qu’il met en ligne ; en Europe, c’est la plateforme qui est responsable dans la mesure ou il y a un traitement de l’information. La dimension juridique de l’e-réputation pose la question fondamentale de la « trace numérique » et en fait le point central pour définir l’e-réputation. Dans une étude publiée récemment, le Boston Consulting Group estimait que l’exploitation des données personnelles permettrait une création de valeur représentant 8 % de l’ensemble du PIB européen à l’horizon 2020. L’e-réputation est tout d’abord un marché économique. Pour que ce marché puisse produire pleinement ses promesses, les internautes doivent avoir confiance dans les services proposés sur les réseaux sociaux. Ils doivent adhérer à la collecte d’informations personnelles et en percevoir les avantages suffisants pour se prêter au jeu. La qualification de l’e-réputation nécessite une analyse de plusieurs composantes juridiques, sociales, économiques, culturelles, cognitives, psychologiques qui en font un objet polymorphe et un véritable enjeu de société.»
Sources : http://www.influenceursduweb.org/
http://www.senat.fr/rap/r13-696-1/r13-696-114.html
Comment procède-t-on à une démarche réflexive à propos de l’E-réputation dans le secteur spatial?
G. ABBASSI : «La réappropriation d’Internet par des usagers à la fois émetteur et récepteur oblige les professionnels et les organisations de toute sorte à prendre en compte dans leur stratégie de communication les réseaux sociaux pour satisfaire les besoins de partage et d’interactions de l’information avec leurs publics. On ne parle plus seulement de visibilité lorsque les réseaux sociaux sont évoqués mais aussi de « normalité » quand l’absence de présence en ligne peut paraître aujourd’hui suspecte. Dans ce contexte particulier, il est essentiel pour une entreprise de construire une véritable stratégie de communication digitale qui réponde à la fois à des besoins internes (rapprocher les collaborateurs en créant du lien social à distance, faciliter la gestion quotidienne du travail) et des enjeux externes avec une ligne éditoriale et un écosystème web qui soient en phase avec le caractère sensible des activités d’une entreprise opérant des données spatiales.
Dans une vision anthropologique de la communication, le chercheur aborde la communication digitale comme un outil numérique. Dans ce cadre, l’outil est étudié comme un système artefactuel, c’est à dire à la fois une mise en relation, un processus de co-construction d’une situation de communication et dans un contexte donné, en prenant en compte l’environnement de l’organisation. Le modèle artefactuel proposé par Agostinelli propose l’étude des outils dans « leur complexité dynamique » car c’est un modèle qui « envisage les outils comme un système cognitif incarné : capable de perception et d’action, en même temps que d’intelligence ». Notre problématique est la suivante : comment une organisation doit-elle s’approprier sa communication digitale pour produire de l’innovation et créer de la valeur ? Pour répondre à cette problématique, plusieurs questions s’articulent autour de l’idée même de l’organisation : Quelle conception de l’organisation est véhiculée par la communication digitale ? Comment peut-elle devenir une réponse au déplacement du territoire symbolique et physique de l’entreprise ? La communication digitale génère-t-elle de l’innovation dans l’entreprise ou accompagne-t-elle l’innovation ? Sur quels critères se baser pour juger de la performance de la communication digitale d’une organisation ?
La démarche réflexive du chercheur favorise le développement d’une pensée analytique et d’un esprit critique car celui-ci analyse et évalue sa propre action d’un point de vue scientifique par rapport à ses connaissances et son savoir professionnel. La démarche réflexive conduit à prendre une distance vis-à-vis de sa pratique quotidienne et à s’interroger sur le contenu et les raisons de son action. La réflexion est exercée aussi avec ses collègues directs, cela est d’autant plus enrichissant lorsqu’il y a confrontation entre point de vue de professionnel et scientifique. Dans le cadre des Sciences de l’Information et de la Communication, la démarche réflexive permet d’étudier les situations de communication qui comportent des processus individuels et collectifs lorsque ceux-ci sont portés par les médias. Les travaux de thèse sont menés pour ouvrir des perspectives qui dépassent la dimension instrumentale de la communication digitale et tenter de répondre à des questions sur les enjeux sociaux autour de la notion d’e-réputation.»
Sources : Entretiens avec Christophe Alcantara
Qu’est-ce qu’un écosystème web ?
G. ABBASSI : «En pratique, un écosystème web correspond à la fois à l’ensemble des technologies web utilisées pour indexer du contenu (sites web, e-mailing, forums, réseaux sociaux, …), aux interactions sociales sur les plateformes web (activités conversationnelles des internautes sur les réseaux sociaux, commentaires sur les blogs, votes, recommandations en ligne…) et de mise en relation d’experts et d’influenceurs (articles rédigés par des influenceurs, liens sponsorisés, publicité en ligne…) en vue d’augmenter sa visibilité et de référencer son image, sa marque, son organisation ou soi-même. L’objectif est de se positionner sur les mots-clés visant à alimenter les algorithmes des moteurs de recherches et à être référencé en première page. La notion d’écosystème fait référence à une vision darwinienne à savoir que dans l’espace virtuel, la vie numérique suit son cours en faisant des expérimentations, des essais, des échecs. Dans les médias, on peut relever des éléments de langage pour identifier les représentations à l’œuvre. L’écosystème web est souvent représenté par sa complexité qui impose aux organisations et aux individus un niveau d’expertise et de travailler en réseau afin de partager son savoir faire et d’accéder à celui d’autrui. Le mot « écosystème » est souvent utilisé par les spécialistes de la médiation web dont je fais partie, ceux là travaillent en réseau en évacuant la notion de concurrence avec pour objectif commun de maîtriser les innovations technologiques. La transparence, la formation, le partage et un accès universel à l’information présentent les atouts indéniables d’une innovation prometteuse et créatrice de valeur. Ces représentations idéalisées, que beaucoup d’entre nous partagent, tendent à nous détourner consciemment ou inconsciemment des enjeux de rentabilité qui préoccupent tous les acteurs du web et qui s’organisent autour de trois activités majeures: l’e-commerce, la curation de contenu et le développement des environnements Ido (Internet des objets). Sur ces trois activités, les « géants du web », représentés par l’acronyme GAFA dans les médias, se sont placés sur tous les points d’entrée des activités des internautes à travers des systèmes d’identifications complexes et constamment repensés. Ce qui se joue derrière la notion d’écosystème est l’e-réputation d’une entreprise, d’une marque ou d’une personne. Face au caractère instable et évolutif des plateformes de réseaux sociaux, avec des interactions qui ont tendance à se multiplier et à se complexifier, les entreprises comme les individus qui s’en sortent sont finalement ceux qui élaborent des stratégies de coopération avec le plus grand nombre permettant à la fois de partager les ressources et également les risques liés à la création et à l’indexation de contenu. Un écosystème web est défini par un ensemble de processus communicationnels ayant pour finalité sa propre existence et devient créatrice de valeur.»
3 – Pour aller plus loin
Agostinelli S (2009) « Comment penser la médiation inscrite dans les outils et leurs dispositifs : une approche par le système artefactuel ». Distances et Savoirs, 7(4), 355-376
Regards croisés sur un phénomène émergent : L’e-réputation, Paris, Gualino Editions sous la dir. Christophe Alcantara
Aguiton C, Cardon D (2008), « Web participatif et innovation collective », Hermès, La Revue, 2008/1 n° 50, p. 75-82.
Bernard F. (2013) « Forme inter-organisationnelles et notion d’engagement, d’action et de participation » dans Allemanno S.P., Bretrand P. (Dir) Les communications organisationnelles : comprendre, construire, observer, L’Harmattan Editions, p.295-308
Colloque e-réputation 2013 : http://www.e-reputation-lecolloque.org/
Europresse médias français entre avril 2014 et 2015, mots-clés recherchés : « e-réputation », « identités numériques » et « écosystème web »
Coréalisé avec Lara-Catherine Desrochers