Depuis plus d’une décennie maintenant, les données massives font l’objet de nombreux débats, tant sur le plan technique, politique qu’éthique. Toutefois, au-delà de ces discussions, un constat clair se dessine; les données puisées dans le Big data sont devenues des outils indispensables pour les professionnels en communication, et plus particulièrement pour les relationnistes. En effet, l’exploration des données massives, qu’elle soit faite a priori ou a posteriori d’une démarche de relations publiques, est devenue une étape incontournable du processus décisionnel des grandes entreprises. Prenons comme exemples les cas de United Airlines et de Revenu Québec, présentés dans le dernier volume de Communication & organisation, intitulé « Pratiques de la communication et Big data ».
A posteriori – Tirer les leçons de la crise
Dans son article « Relations publiques, Big data et médias sociaux – l’exemple de United Airlines », Dupont (2018) a « analysé le contenu des différentes plateformes, recensé la trace (textes et images) chronologiquement et brossé un tableau de la crise sur le plan quantitatif (nombre de messages, commentaires) pour observer les réactions, les perceptions, les émotions et les convictions des différents publics » en plus d’effectuer une « analyse des conversations, des interactions et des mots clés » (Dupont, 2018) entourant la crise. Face à une quantité de données aussi massive, Dupont réussit à identifier les tendances et les thèmes clés de la crise, tout en en tirant des leçons importantes.
Ces analyses poussées que permettent les Big data ont révélé la réponse inadéquate de l’équipe de relationnistes du transporteur aérien. Appuyé par de nombreuses données, Dupont démontre clairement que « la stratégie de communication de UA sur les médias sociaux […] a eu pour effet d’entacher la réputation de la marque et d’exacerber la crise » (2018). Dupont recense également les nombreux faux pas de l’entreprise : « absence d’écoute, absence d’explication, absence d’empathie, absence de conversation avec les internautes, absence d’excuses sincères, absence de dialogue avec la clientèle et absence de veille des plateformes numériques pour s’enquérir de la réaction du public après les réactions initiales négatives » (2018).
Il aurait été difficile, voire impossible, de tirer des conclusions aussi précises et rapides sans l’apport d’un examen méthodique des données massives. Considérant la production toujours grandissante de données et la vitesse à laquelle ces dernières se propagent, ce type d’approche tend à gagner en importance dans les années à venir. Comme le souligne Dupont, « nous croyons que le forage de données, le Big data et l’intelligence artificielle deviendront des outils centraux dans l’arsenal du relationniste à la recherche d’indices pour se démarquer et défendre l’image de l’entreprise en temps réel » (2018).
A priori – Changement et positionnement
Dans le second exemple, l’article de Charest et Lavigne (2018) intutulé « Big data et relations publiques, étude de cas des pratiques numériques de Revenu Québec » présente l’approche mise en place par l’agence fiscale Revenu Québec quant à l’intégration des médias sociaux et l’utilisation de données massives dans leurs processus décisionnels. Parmi les techniques utilisées, l’agence a effectué quatre séances de clavardage, une avec les entreprises et trois autres pour les citoyens, à différentes heures et journées de la semaine. Les objectifs de cette activité étaient non seulement de mettre de l’avant les médias sociaux de l’agence et répondre aux questions des différents publics, mais également de « générer des données massives non structurées provenant du comportement des différentes clientèles de RQ » (Charest et Lavigne, 2018). Une analyse poussée de ces dernières a permis « de dresser un portrait des clientèles et d’identifier leurs besoins d’information et de communication » (Charest et Lavigne, 2018) afin de produire de nouveaux contenus adaptés auxdits besoins.
Toutefois, bien au-delà des contenus adaptés aux différents publics, l’agence vise à utiliser cette nouvelle compréhension des clientèles afin d’apporter d’importantes améliorations de ses normes et ses processus internes. En effet, « [à] partir de ces nouvelles données existantes, les analystes de l’économie comportementale font des recommandations pour orienter la planification stratégique » (dans Charest et Lavigne, 2018) souligne un gestionnaire rattaché au département de l’innovation et de l’administration. En associant l’intégration des médias sociaux, les pratiques de relations publiques, le développement des liens de proximité (internes et externes) et l’analyse des données massives qui en résultent, Revenu Québec réussit à apporter les changements nécessaires à son évolution et à se positionner de manière optimale sur la place publique.
Mise en garde – Tout n’est pas rose
Les possibilités d’analyse des données complexes provenant du web ne sont plus à démontrer. Toutefois, en relations publiques, l’utilisation des Big data est généralement présentée comme un produit axé sur les résultats. En effet, « Les Big data renforcent le discours des consultants en influence auprès de leurs clients et peuvent participer à forger l’illusion d’un discours d’expert garant de l’optimisation des performances » (Desmoulins et al., 2018). Oubliant que l’analyse des données massives n’est qu’un outil parmi tant d’autres et doit être utilisée conjointement avec d’autres techniques, de nombreux clients voient dans les Big data la solution à tous leurs problèmes. « Les clients espèrent asseoir la légitimité de décisions qui engagent la stratégie de leur entreprise, et conditionnent leur autorité personnelle » (Desmoulins et al., 2018).
Les différentes agences et autres consultants, en réponse à ces attentes, exagèrent parfois la certitude scientifique de ces analyses afin de rassurer leurs interlocuteurs. Cependant, derrière les portes closes, de nombreuses agences continuent des travailler « à l’ancienne » et « [l]’expression « supports d’intuition » revient comme un leitmotiv dans les discussions de travail » (Desmoulins et al., 2018). Comme l’affirme le Directeur d’AbL : « Les gens n’achètent pas de l’incertitude, ils ne veulent pas entendre que nos métriques et nos méthodes ne sont pas robustes et qu’on continue à travailler à l’ancienne » (dans Desmoulins et al., 2018).
L’exploration des Big data s’avère donc un outil d’analyse extrêmement puissant et d’une rapidité encore jamais vue. Toutefois, une application précipitée et axée sur les résultats plutôt que la compréhension semblerait en diminuer l’efficacité, voire la nullifier complètement.
Sources :
- Charest, Francine et Alain Lavigne. 2018. « Big data et relations publiques, étude de cas des pratiques numériques de Revenu Québec ». Dans Communication & organisation vol. 54, no.2. Charest, Francine et Anne-Marie Cotton (dir.). Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, p. 15-28
- Charest, Francine et Anne-Marie Cotton (dir.). 2018. Pratiques de la communication et Big data. Communication & organisation vol. 54, no.2. Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, 284 p.
- Desmoulins, Lucile, Camille Alloing et Vanessa Mohli. 2018. « L’influence n’est-elle que donnée(s) ? Médiations et négociations dans les agences de communication « influenceurs » ». Dans Communication & organisation vol. 54, no.2. Charest, Francine et Anne-Marie Cotton (dir.). Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, p. 29-40
- Dupont, Luc. 2018. « Relations publiques, Big data et médias sociaux – l’exemple de United Airlines ». Dans Communication & organisation vol. 54, no.2. Charest, Francine et Anne-Marie Cotton (dir.). Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, p. 107-120