Observatoire des médias sociaux en relations publiques

Archive for octobre, 2018

Communication de crise digitale : reprendre ses sens

Posted on: octobre 31st, 2018 by omsrp No Comments

L’ouvrage Communication de crise (2018) de Thierry Libaert, qu’on ne saurait trop recommander aux gestionnaires de communication sensible et de risques, contient un chapitre complet sur le sujet de la communication de crise digitale, rédigé par Nicolas Vanderbiest. En fin de chapitre, Vanderbiest résume l’essentiel de la matière en faisant un parallèle entre ce qu’il considère comme étant les bonnes pratiques et les perceptions sensorielles du communicant. En effet, il y présente « un ensemble d’ingrédients constituant des « sens » qu’il faut développer en situation de crise » (dans Libaert, 2018 : p.168).

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  1. Le premier sens duquel Vanderbiest tire une leçon est celui de l’ouïe. En effet, il souligne « L’importance d’aller au-delà du bruit ». C’est-à-dire avoir la capacité de prêter l’oreille à ce qui se passe autour du bourdonnement qu’est le bad buzz. Il est important de ne pas juger ce dernier par sa bruyance, mais bien par sa pertinence pour l’organisation dans sa continuité d’activité.
  2. En second lieu, l’auteur s’attarde au sens du goût et met en évidence « l’importance d’identifier les actifs en jeu ». C’est à l’organisation que revient la responsabilité de qualifier la crise en fonction des actifs en jeu et non du fait qu’elle laisse un goût amer. L’élaboration de la stratégie de communication ne doit donc pas être dicté par la crise, quel qu’en soit la saveur ou l’intensité, mais bien par la préservation des actifs, internes et externes.
  3. Ensuite, c’est avec le sens de l’odorat que l’auteur explique « l’importance de tirer les vrais enseignements ». Il faut effectivement que le communicant use de flair afin de percevoir au-delà de l’élément déclencheur de la crise (le trigger) et dégagé la composante du processus interne qui a posé le problème, sans quoi, l’organisation risque de se retrouver nez à nez avec le même problème ultérieurement.
  4. Puis, c’est au tour du sens de la vue de servir de métaphore pour l’auteur qui insiste sur « l’importance du détail ». Effectivement, en amont de la crise, il est primordial d’examiner les détails avec un œil de lynx, car « un détail peut paraître invisible pour 999 individus sur 1000 [mais à] l’ère des réseaux sociaux, le seul individu qui identifie le détail peut l’annoncer très rapidement aux 999 autres » (Vanderbiest dans Libaert, 2018 : p.168). Réellement, les années où les publics n’y voient que du feu sont révolues.
  5. L’auteur insiste alors sur « l’importance d’être ouvert sur le monde qui nous entoure » à l’aide du sens du toucher. À la vitesse à laquelle les flux communicationnels circulaires tournent, il est essentiel pour le communicant de demeurer en contact avec les faits d’actualité et les modifications des valeurs. Sans prendre le pouls du monde et des flux dans lesquels l’organisation s’insère, une simple communication peut se transformer en une énorme faille réputationnelle.
  6. Vanderbiest met aussi en évidence l’apport de la perception du temps, plus particulièrement l’impératif pour le communicant de « prendre le contrôle du temps ». Bien que ce facteur soit essentiel, il est crucial de ne pas le percevoir comme une pression supplémentaire, mais bien comme un autre outil qu’il faut apprendre à maîtriser. « Il ne s’agit pas d’une course, mais d’une emprise sur le temps. La reprise en main du tempo permet de passer d’une situation de crise à une situation communicationnelle ordinaire. » (Vanderbiest dans Libaert, 2018 : p.169)
  7. Le 6e sens, quant à lui, serait davantage de l’ordre de l’anticipation, plutôt que de la perception. Effectivement, l’auteur avertit le communicant qu’il est tenu de « s’attendre à tout, y compris au faux ». Suivant l’adage qu’il faut « prévoir l’imprévisible », l’organisation doit non seulement identifier les risques possibles et se préparer stratégiquement à y faire face, mais également être disposée à affronter une crise dont les contours et la véracité sont nébuleux.
  8. D’autre part, le communicant doit se fier à sa thermoception et se « garder le droit de se déclarer en crise ou pas ». Naturellement, l’organisation est la seule à savoir si elle est réellement dans l’eau chaude ou non. Trop souvent, la crise peut être déclarée (à l’interne comme à l’externe) pour des situations qui n’en sont pas. Simplement parce que les esprits s’échauffent un peu, ne signifie pas nécessairement qu’il y a le feu.
  9. De même, l’auteur recommande fortement à l’organisation de bien « maîtriser les éléments constitutifs de son histoire », d’où l’importance du sens de l’équilibre. Vanderbiest n’exagère pas en disant que « bientôt, les publics connaîtront mieux les organisations que les employés eux-mêmes, grâce aux traces qu’elles accumulent sur le Web » (dans Libaert, 2018 : p.169). Tel un funambule, le communicant se doit donc d’avoir le pied sûr sur la ligne du temps de l’organisation, de la stratégie globale de communication, tout en tenant compte des bourrasques.
  10. Enfin, le dernier sens, mais non le moindre, qu’un communicant doit développer est la proprioception. L’auteur affirme haut et fort que « l’interne est le plus important ». En effet, un des facteurs les plus négligés lors d’une communication de crise sur le Web est l’interne. Le communicant doit donc percevoir la position des différents membres, en tenir compte, et s’ajuster en conséquence. Un employé peut vivre une crise de plein fouet, si négligé, ou devenir un incroyable levier en période de perturbation communicationnelle.

Il devient clair, à la lueur des leçons ci-dessus, que tous les sens du communicant se doivent d’être bien aiguisés et travailler de concert, sans quoi la synesthésie de l’organisation en moment de crise pourrait envenimer la situation.

Source : LIBAERT, Thierry. 2018. Communication de crise. Avec la collaboration de Nicolas Baygert, Bernard Motulsky, Nicolas Vanderbiest et Mathias Vicherat. Montreuil : Pearson France, 246 p.

Modes de gestion de crise à l’ère des médias socionumériques

Posted on: octobre 23rd, 2018 by omsrp No Comments

L’injonction à participer par l’internaute qui désire faire partie d’une communauté favorise l’introduction de nombreux échanges de publications, d’évaluation et de recommandations personnelles, ce qui suppose également l’interaction sur des contenus publiés par les marques (Serge Proulx, 2017). Ces lieux d’échange et de partage peuvent devenir le théâtre de véritables tribunaux de l’opinion publique dans lesquels les messages d’entreprises peuvent rapidement passer de la communication sensible au bad buzz, pouvant même aller jusqu’à la crise numérique à part entière. Plusieurs techniques, tant préventives que réactives, peuvent parer à cette progression indésirable. Cependant, si, malgré les efforts, la crise survient, quels sont les modes de gestion de crise employés à l’ère des médias sociomunériques?

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Dans son dernier ouvrage, intitulé La communication de crise à l’ère des médias socionumériques, Xavier Manga souligne les modes de gestion fréquemment utilisés par les organisations tels que regroupés par Libaert (1999) en trois grandes catégories : la reconnaissance de la crise, la diversion du public par des sujets annexes et la résistance à la crise par la « stratégie du refus ».

  1. La reconnaissance de la crise
    Ayant particulièrement fait ses preuves dans le passé, cette stratégie est la plus souvent conseillée par les experts de la communication de crise. Elle consiste à « reconnaître le problème, quel que soit sa provenance (interne ou externe) avant même que les médias s’en emparent » (Manga, 2018). Les éléments clés de ce format communicationnel de la reconnaissance sont la transparence et la fermeté. Il s’agit pour l’entreprise de diagnostiquer le plus rapidement possible l’origine du problème en plus de déterminer les actions à prendre afin de non seulement le résoudre, mais aussi d’empêcher qu’une telle situation ne se reproduise. Thierry Libaert (1999) soutient que pour être efficiente, la stratégie par la reconnaissance se doit d’être « ferme », « rapide » et « cohérente ». Manga ajoute qu’il est tout aussi important de faire preuve de souplesse et de réactivité, et ce, tant dans un contexte de communication sensible, de bad buzz ou de crise. Selon le cas, l’entreprise peut opter pour une reconnaissance complète de la faute, une reconnaissance partielle ou même faire le choix du Mea culpa par l’humour et la dérision. Bien que cette dernière stratégie reflète un usage intelligent des codes qui régissent les médias sociaux numériques, il s’agit néanmoins d’une approche plus délicate réservée aux communicateurs chevronnés.
  2. La diversion du public par des sujets annexes
    Aussi connue sous le nom de « stratégie du projet latéral » (Thierry Libaert, 1999), cette approche s’appuie sur une communication autour de sujets connexes. Nous ne parlons pas ici de changement de sujet, mais bien d’une décontextualisation basée sur la transparence et sur la crédibilité. « Le débat, tout en restant fidèle à la réalité de la problématique de la crise, est déplacé sur un autre aspect. La contre-attaque adressée aux entreprises concurrentes est souvent privilégiée. » (Manga, 2018) Il s’agit ici de dévoiler au grand jour à qui profite la crise; trouver dans les autres entreprises un « alibi naturel ». Dans les situations où les entreprises optent pour cette stratégie, la responsabilité est alors imputée à l’externe. Il est même possible de pousser cette démarche jusqu’au registre de la victimisation. Par contre, il est important de noter que « la diversion est une stratégie de complément qui peut accélérer la sortie du bad buzz, mais qui ne dispense pas de répondre aux interrogations des internautes » (M. Muzzard, 2015).
  3. La résistance à la crise par la « stratégie du refus »
    Il arrive parfois, peut-être trop souvent, que « l’entreprise refuse toute déclaration dès le début de la crise ou interrompt la discussion (au risque de l’alimenter) pendant une courte période » (Manga, 2018). Cette stratégie est basée sur la croyance selon laquelle les choses finiront par se calmer d’elles-mêmes, que la crise médiatique ne peut pas durer éternellement. Elle se traduit par un mutisme ou une inaction persistante de l’entreprise, pendant que les médias socionumériques s’enflamment. « Les recours en justice, la censure, le rejet de toute responsabilité ou la désignation d’un coupable sont tous des moyens liés à cette stratégie. » (Manga, 2018) Bien que cette approche puisse minimiser les conséquences de la crise, elle est généralement à proscrire puisqu’elle va à l’encontre d’une communication engageante, transparente et cohérente. Les seuls cas où il serait conseillé de l’utiliser sont ceux, plus légers, où l’on se moque de l’entreprise, sans toutefois exprimer de la colère. Le silence peut alors suffire pour atténuer le buzz rapidement. Cependant, « [p]lus souvent, ne pas prendre position en situation de crise ne revient qu’à n’avoir aucune prise sur le phénomène » (Manga, 2018).

Quelle que soit la stratégie que privilégie l’entreprise, elle doit se bâtir à partir du lien de confiance entre sa marque et les internautes, préalablement développée par l’entremise d’une bonne e-réputation. En effet, « [l]es marques qui cultivent une proximité, une authentique interaction avec leurs clients ont plus de chance de résister en temps de crise, tant leur bonne perception par les clients instaure une quasi-immunité les rendant facilement pardonnables » (Manga, 2018). En présentant un discours axé sur la confiance, les entreprises arrivent parfois à désamorcer la crise en « présentant un simple mea culpa qui consiste à reconnaître que l’erreur est humaine, tout en mettant de l’avant leur capacité d’agir pour instaurer des solutions durables » (Manga, 2018).

Source principale

MANGA, Xavier. 2018. La communication de crise à l’ère des médias socionumériques. Collection communication et relations publiques. Québec : Presse de l’Université du Québec, 188 p.

Sources secondaires

LIBAERT, Thierry. 1999. Communication de crise, le choix des messages. Humanisme et Entreprise. « https://www.tlibaert.info/communication-de-crise-le-choix-des-messages-humanisme-et-entreprise-septembre-1999-repris-in-la-revue-de-la-gendarmerie-nationale-3eme-trimestre-2001/ » Consulté le 4 octobre 2018.

MUZARD, Marie. 2015. Very bad buzz : méthode pour préserver sa réputation sur Internet. Collection Marketing. Paris : Éditions Eyrolles, 312 p.

PROULX, Serge. 2017. L’injonction à participer au monde numérique. Communiquer, no. 20, https://journals.openedition.org/communiquer/2308, consulté le 4 octobre 2018.