Francine Charest en collaboration avec Johanie Bouffard et Ema Zajmovic
Depuis à peine deux décennies, ces quatre plateformes réunies inspirent plus de joie, d’interactions, de prospérités et de découvertes qu’aucune autre technologie n’a réussi à le faire jusqu’à présent (traduction libre du Bestseller The Four[1] du professeur Scott Galloway[2], paru en 2017). Comment ces Four Horsemen[3] arrivent-ils à s’infiltrer, voire influencer les modes de vie de milliards d’individus au point où il est presque devenu impossible de les ignorer ? Quelles stratégies déploient-ils pour connaître, voire manipuler, les émotions et les besoins des utilisateurs ? Que ce soit pour faire des affaires avec ou contre eux, ou simplement vivre dans ce monde qu’ils dominent, il importe de comprendre leurs façons de faire. Une petite revue de littérature et visite d’observation des lieux à Silicon Valley se sont donc imposées durant mon année d’étude et de recherche pour tenter d’approfondir un peu plus cet univers emblématique.
Les gens ont une idée concernant les trois autres horseman mais peu de gens peuvent expliquer comment fonctionne le moteur de recherche Google. Apple construit de beaux et luxueux objets technos avant-gardistes et d’usage intuitif comme nul autre. Amazon vend une foule de produits qu’il emmagasine dans de grands entrepôts à des prix compétitifs que des gens (et des robots) trient, emballent et livrent rapidement. Facebook permet de créer des réseaux avec des « amis » partout dans le monde. « But few people understand what happens inside a holding compagny that happens to « hold » a gigantic search engine », (Galloway, 2017 : 135). « Google is listening… and has the knowledge not only of what we do but also what we want to do (2017 : 136, 137).
De plus, Google est d’usage public et gratuit tel que l’avait conçu Tim Berners-Lee en développant l’application Internet grand public, en novembre 1993. Même le vaste et ludique campus Google à Silicon Valley est ouvert au public où les visiteurs peuvent circuler librement sur le site, à pied ou en vélo. Bien sûr, l’accès aux bâtiments et aux nombreux équipements sportifs sont réservés aux employés qui en profitent allègrement à ce que j’ai pu constater. Rien de tel pour favoriser la créativité et la productivité…
Apple
On ne peut malheureusement pas en dire autant du campus Apple. Seul leur boutique est accessible au grand public, et ce, sous haute surveillance… J’ai quand même pu assister en marge à une rencontre qui se déroulait sur la terrasse entre des employés et un gestionnaire. Il était question d’échéances à respecter… mais dans une ambiance très décontractée.
Enfin, il va sans dire qu’Apple se distingue nettement des autres plateformes. Perçu comme un produit luxueux, Apple ne s’est pourtant pas positionnée comme tel au départ. C’est plutôt son ordinateur d’usage plus intuitif et convivial que ceux de ses compétiteurs qui a fait sa renommée. Les artistes puis les autres l’ont adopté d’emblée. Est ensuite apparu sur le marché le fameux IPod, ce glossy white block the size of a deck of cards représentant un miracle technologique avec ses 5GB de mémoire transportable dans nos poches. Il n’en fallait pas plus pour transformer la perception des produits Apple comme des objets sexy et luxueux. Le look des ordinateurs a aussi été revampé dans des boitiers gris métallique composé notamment d’aluminium, représentant à la fois un outil élégant mais aussi un objet convecteur d’énergie hautement apprécié et prisé en cette ère de conscience environnementale.
Ont enfin suivi une gamme d’autres produits – Iphone, IPad, Apple Watch – tous aussi attrayants et magiques les uns que les autres. « Cognitive psychology shows that attractive objects make us feel good, which in turn makes us more resilient in creative challenges… Attractive things work better » souligne Don Norman, Vice-president advances technology at Apple (1993-1998, cité dans Galloway, 2017 :79). Il va sans dire que la vision et la créativité de Steve Jobs, les équipes hautement qualifiées (et très bien rémunérées) dont il a su s’entourer dès le départ ainsi que celles qui lui ont succédées, et enfin, les gestionnaires compétents (même s’ils l’ont déjà remercié deux fois) qui continuent de rejoindre leurs rangs, ont positionné Apple comme le premier des horseman jusqu’à la semaine dernière…
Amazon
« Amazon devient la marque la plus valorisée au monde, au détriment d’Apple et de Google », confirme le classement annuel effectué par Brand Finance (Blog du modérateur, 1er février 2018). Avec 42% de création de valeur ajoutée en 2017, Amazon est passée de la 3e à la 1ère place au détriment d’Apple (en 2e place avec +37%), et de Google (en 3è place avec +10%)[4]. L’article souligne également les bonnes performances de Samsung et de Facebook qui prennent les 4e et 5e places du classement. Comment expliquer ce succès?
« Shopping for a Porsche Panmera Turbo S or a pair of Louboutin lace pumps is fun. Shopping for tothpaste and eco-friendly diapers is not […] Amazon eases the pain of drudgery […] No great effort : no hunting, little gathering, just (one) clicking […].
He will soon be number one », anticipait Galloway (2017:4). C’est précisément ce que les médias ont annoncé la semaine dernière. Cependant, ils ont aussi rappelé les relations tendues qui persistent entre la direction et ses employés. On y apprenait cette fois, qu’Amazon songeait à équiper ses employés d’un bracelet pour assurer la qualité dans la chaîne de production des produits]. Ce qui a provoqué l’indignation dans la blogosphère. Inutile d’ajouter que leurs bureaux ne sont aucunement disponibles pour les visiteurs à Silicon Valley.
À notre grande déception, les locaux de Facebook (FB) non plus ne sont pas accessibles aux visiteurs. La seule possibilité est de faire un Check-in devant leur affiche. Quant à l’édifice et les lieux environnants, ils ne sont pas plus intéressants. On n’est pas chez Google ici.
Mais ce qui indéniable, c’est le succès incontesté de FB. Plus de 2 milliards d’internautes sur la planète qui interagissent entre « amis » et même avec les entreprises depuis qu’elles créent elles-mêmes leur propre page FB. Ce qui permet d’établir des liens de proximité avec les utilisateurs et d’offrir ainsi des produits et des services auprès de clientèles bien ciblées, comme seul FB sait si bien le faire. Toutes ces interactions répondant à des besoins différents de communication (On ne peut pas ne pas communiquer, nous disait Watzlawick en 1968) procurent une gamme d’émotions variant de la joie à la colère en passant par l’empathie, voire l’amour… « What makes us happier, more human » (2017 : 102).
Quoiqu’il en soit, devant la mort annoncée de FB à maintes reprises, l’histoire a démontré (jusqu’à présent) la détermination de FB à poursuivre sur sa lancée, à en juger une fois de plus le succès de ses plus récentes applications Instagram, What’s App, etc. lui conférant le statut de chef de file auprès de milliards d’utilisateurs, à défaut de celui des marchés boursiers qui lui ont préféré Amazon.
Bref, l’évolution des technologies, des usages et des marchés, renforcent l’idée que c’est dans l’ADN des GAFA d’être des gagnants !
[1]Scott Galloway (2017). The Four The hidden DNA of Amazon, Apple, Facebook, and Google. PortFolio/Penguin, New York, USA.
[2]Reconnu par Poets & Quants en 2012, parmi les 50 meilleurs professeurs, Scott Galloway enseigne au programme MBA à New York University’s Stern School of Business.
[3]Four Horseman, terme vulgarisé par Galloway pour désigner, les GAFA nommés aussi les Big Four.
[4] Thomas Coëffé, (1er février 2018). « Amazon devient la marque la plus valorisée au monde, au détriment d’Apple et Google », https://www.blogdumoderateur.com/brand-finance-global-500-2018/