Considéré comme une pratique insidieuse et éthiquement discutable quant à l’exercice des relations publiques, le phénomène d’astroturfing semble être particulièrement affecté par l’émergence des technologies de l’information et de la communication (TIC). Concrètement, « faire de l’astroturfing en communication implique de créer de toute pièce un faux mouvement citoyen afin d’atteindre des objectifs de mobilisation ou de conditionnement de l’opinion publique » (Giasson dans Boulay, 2015 : VII). En observant de plus près comment s’exerce ce phénomène, il est possible de constater plusieurs tendances, tantôt inquiétantes, tantôt encourageantes.
Les acteurs du phénomène
De prime à bord, il importe de préciser quels sont les acteurs qui établissent les stratégies à la base de ce phénomène qu’est l’usurpation de l’identité citoyenne. Selon le corpus étudié récemment par Boulay (2015), les initiateurs de cette pratique relèvent de plusieurs sphères d’activité. Si une majorité d’entre eux proviennent du secteur corporatif (59%), il n’en demeure pas moins que les groupes liés à la politique partisane (14%), à des mouvements d’astroturfs (7%) ainsi qu’à des initiatives gouvernementales (6%), entre autres, représentent une part non négligeable de ce corpus. Du côté des dénonciateurs de ces manipulations frauduleuses, une large part des imputations est mise en lumière par les professionnels des médias (42%). Néanmoins, les citoyens (27%) ainsi que les organisations à but non lucratif (25%) jouent également un rôle de dénonciation important. Ces données illustrent à quel point le phénomène d’astroturfing est largement répandu et implique une multitude d’acteurs tant de la sphère privée que publique.
Moyens de communication privilégiés
Dans le même ordre d’idées, les initiateurs des actions d’astroturfing utilisent une multitude de moyens de communication pour véhiculer leur message. À cet égard, les entreprises et groupes d’intérêts privés qui, rappelons-le, accaparent 59% des cas répertoriés, se servent principalement des TIC, notamment les blogues, le Web 2.0 et les sites Internet (41%). Même son de cloche du côté de la sphère politique partisane et des groupes gouvernementaux, où les TIC accaparent respectivement 40 et 50% des moyens de communication prônés. Certes, ces acteurs utilisent également d’autres moyens, tels que la publicité dans les médias, l’influence interpersonnelle ou encore les rassemblements, mais à la lumière de ces constatations, il appert que les TIC font partie intégrante des stratégies des initiateurs d’actions astroturf. Quant aux véhicules communicationnels de dénonciation du phénomène, toujours selon le corpus de Boulay (2015), on constate une différence selon la source dénonciatrice. Alors que les professionnels des médias ont majoritairement recours aux médias traditionnels (78,5%), les citoyens se tournent principalement vers les blogues (55,6%) et les médias sociaux (29,6%) pour mettre en lumière leurs accusations. Les supports communicationnels que représentent les TIC profitent donc largement aux citoyens.
Constat
À la lumière de ces constatations, il ne fait aucun doute que les technologies de l’information et de la communication font partie intégrante des stratégies d’astroturfing des initiateurs. Ainsi, en manipulant frauduleusement l’opinion publique, les acteurs à la base de telles stratégies portent inévitablement atteinte à la démocratie. À cet égard, bien que les TIC eussent été à la base de nombreuses révolutions citoyennes, il est pertinent de se demander à qui ces technologies profitent réellement.
Source
Boulay, Sophie. 2015. Usurpation de l’identité citoyenne dans l’espace public : Astroturfing, communication et démocratie. Presses de l’Université du Québec. 192 p.